Marocains, le Makhzen vous emmerde

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les marocains ont vécu des moments historiques ces 2 dernières semaines.

Tout d’abord, la victoire écrasante du PJD aux élections. Malgré toutes les critiques que l’ont puisse émettre envers le processus électoral, il semble que la volonté des marocains a été globalement respectée. La victoire du PJD aurait été encore plus écrasante si le mode de scrutin et le découpage avaient été plus équitables. Mais ce ne sera que partie remise pour les échéances à venir. Le combat sur ces points essentiels doit continuer. Les marocains n’ont tout de même pas oublié de remarquer la débandade du PAM et de son cheval de Troie makhzanéen RNI. Toutes leurs gesticulations ces derniers mois ont été vaines et inutiles. Le G8 ressemble plus aujourd’hui à un “G Rien”…

Le deuxième évènement, reste la nomination de Abdelilah Benkirane comme Chef de Gouvernement. Alors que beaucoup s’attendaient à ce que Saadeddine Othmani, ex-dirigeant du PJD soit nommé à la tête du gouvernement, notamment pour ses qualités de diplomatie et de conciliation avec le Makhzen, Benkirane s’est imposé comme un choix incontournable. On aurait quand même bien pu rigoler en ayant un psychiatre comme Othmani à la tête du gouvernement d’un pays réputé pour sa schizophrénie chronique 🙂 Mais avec les tractations que mène Benkirane, on se dirige, semble-t-il, vers un gouvernement formé par la PJD, l’Istiqlol, le Mouvement Populaire et le PPS. Des islamistes qui siègent au même gouvernement que des ex-communistes. On aura tout vu au Blad Schizo!

Après une semaine d’euphorie, où les attentes des marocains vis-à-vis du prochain gouvernement PJD restent énormes, le Makhzen n’a pas manqué de réagir. Non pas une, ni deux, mais trois claques ont été distribuées en moins de 48h.

Tout d’abord, la nomination de 28 ambassadeurs. Il s’agit d’un acte strictement encadré par la Constitution adoptée en juillet dernier. La loi suprême du pays stipule très clairement dans son article 49 :

“Le Conseil des ministres délibère … de la nomination sur proposition du Chef du Gouvernement et à l’initiative du ministre concerné, aux emplois civils… d’ambassadeur…”

L’article 55 stipule quant à lui :

“Le Roi accrédite les ambassadeurs auprès des puissances étrangères et des organismes internationaux.”

En reconstituant le processus, on obtient donc :

Le Chef de Gouvernement propose les ambassadeurs (à l’initiative du ministre des affaires étrangères), le Conseil des ministres (présidé par le roi) en délibère puis le roi accrédite ces ambassadeurs.

Or, en consultant les comptes rendus des conseils des ministres, publiés par le Secrétariat Général du Gouvernement, on s’aperçoit que la nomination des ambassadeurs n’a été approuvée dans aucun de ces conseils.

De par la même constitution, Abbas El Fassi, est toujours Chef de Gouvernement, jusqu’à ce que Abdelilah Benkirane obtienne le vote de confiance du Parlement.

En omettant l’étape de délibération par le Conseil des ministres, on s’aperçoit que le processus constitutionnel de nomination des ambassadeurs a été clairement violé.

En est-on à la première violation de la nouvelle constitution? Il semble que non. Plusieurs constitutionnalistes, dont le Pr. Abdelkader Bayna, éminent professeur de Droit Constitutionnel à Rabat avaient souligné que les élections du 25 novembre ne pouvaient être tenues qu’après dissolution de l’ancien parlement. Ce qui n’a jamais été fait!

Que faire quand un citoyen estime que la constitution de son pays a été violée? Il devrait se diriger vers la Cour Constitutionnelle, censée être le protecteur ultime de la loi suprême. Mais quand on sait que le roi nomme son président et la moitié de ses membres (directement et indirectement), on connait d’avance la réponse à toute saisine de ce type…

Deuxième claque de la semaine, la nomination de Yasser Zenagui, actuel ministre RNI du tourisme au sein de cabinet royal. Beaucoup diront qu’une nomination au sein du cabinet royal relève du périmètre exclusif du roi, mais quand on connait la puissance de celui-ci au sein des institutions marocaines, on ne peut s’empêcher de rester dubitatif devant une telle nomination. Comment peut-on admettre qu’un ministre d’un gouvernement sortant, appartenant à un parti sévèrement sanctionné par les marocains aux élections, puisse accéder à des fonctions au sein d’une institution connue pour être le vrai gouvernement d’ombre au Maroc? Sans citer les allégations sur les conflits d’intérêt incestueux de M. Zenagui qui détient un gros fonds d’investissement touristique (Sienna Investment Group) tout en étant ministre du tourisme…

La troisième claque (de quasi-KO) nous est venue de la nomination de Fouad Ali El Himma comme conseiller au cabinet royal. Nous voici devant un personnage dont les marocains réclament la chute depuis une dizaine de mois, qui a fondé un parti qui s’est pris une sévère défaite aux dernières élections, et qui de plus, est haï et détesté par le PJD, parti vainqueur des élections. Benkirane qui n’a cessé de traiter El Himma de tous les noms, le comparant à Oufkir et Basri, ou en appelant le roi à l’écarter. Le pauvre chef de gouvernement désigné s’est finalement résigné à appeler son pire adversaire pour le féliciter.

Nous voila donc devant 3 claques affligées aux marocains. Votez pour la constitution que vous voulez (aussi critiquable soit-elle), votez pour le parti que vous voulez, manifestez autant que vous voulez, le makhzen fera ce qu’il veut, et s’entourera de qui il veut.

Marocains, il ne vous reste que Dieu à implorer, et vos yeux pour pleurer.

الله يلطف بهاد البلاد أو صافي

 

Quand la science réfute le Makhzen

L’article qui suit est une analyse d’un éminent professeur à l’Ecole Mohammadia d’Ingénieurs, sur le déroulement du référendum du 1er juillet. Beaucoup ont émis des doutes sur les taux de participation (y compris Benkirane du PJD, mais qui s’est rétracté par la suite), et la science confirme que ces doutes sont bien fondés. L’analyse des taux de participation communiqués par le Ministère de l’Intérieur à intervalles régulières durant la journée du vote, laisse apparaitre une manipulation des chiffres, et une volonté d’arriver à un chiffre bien déterminé à la fin de journée. L’enjeu principal de ce vote étant la participation (puisque le référendum était gagné d’avance), le makhzen avait donc tout intérêt à gonfler ces chiffres pour faire passer le projet de constitution avec un important taux de participation, et prouver que ceux qui appelaient au boycott (le mouvement du 20 février entre autres) est ultra-minoritaire. L’analyse du Pr. Hammouche se base sur l’étude du processus stochastique tel que modélisé pour cette journée de vote. Connaisseurs en la matière, admirez l’oeuvre du makhzen!

 

La publication de l’évolution du taux de participation au référendum sur la constitution du 1er juillet 2011 a soulevé une polémique quant à la véracité des chiffres de ce taux. L’analyse suivante aborde le débat sur cette question d’un angle scientifique qui tente une lecture de la réalité autre que politique alliant données et modèles objectifs qui cherchent l’abstraction la plus fidèle de la réalité.

Comme le montre le schéma ci-dessous du modèle du processus de vote au référendum constitutionnel, le taux de participation rapporté dans le temps est le taux de service μ et le taux d’affluence des votants est λ. En général, ces deux taux ne sont pas égaux. Par contre, durant la journée du vote, on utilise, les médias en particulier, l’affluence des votants aux bureaux de vote comme indicateur de l’importance de la participation au scrutin : cette participation est d’autant plus importante que les queues des votants devant les bureaux de vote sont longues. Ces queues se forment quand λ > μ . D’ailleurs, certains votants qui arrivent aux bureaux de vote sont découragés par les longues queues et ne votent pas. Dans ce cas (λ > μ), l’hypothèse de constance de μ peut être envisagée. Cette hypothèse traduit le fait que le nombre moyen de votants que le bureau de vote peut traiter par unité de temps est constant. Dans le cas contraire (λ ≤ μ) le votant qui se présente est, en principe, tout de suite servi et il n’y a pas formation de queues. Ceci implique qu’essentiellement le taux de participation est déterminé dans le temps par le taux d’affluence des votants. Or, d’après les médias et les différents témoignages, ou bien on n’a pas constaté des queues devant les bureaux de vote ou ces queues, quand il y en avait, étaient généralement peu importantes. D’ailleurs nous savons tous que nos médias officiels, en particulier notre chaîne TV Al Oula et 2M nous auraient montré, comme preuve de la forte participation, la multitude de ces longues queues, si elles existaient, devant les bureaux de vote. En l’absence de chiffres sur λ et μ minute par minute, je me suis basé, dans mon analyse sur l’indicateur d’affluence des votants et j’ai donc retenu le cas λ ≤ μ. Il est à noter que, même dans le cas λ > μ, les chiffres rapportés officiellement ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux constatés dans la réalité. Tout dépend de la crédibilité de la source de ces chiffres.

 

 

En retenant le cas où λ ≤ μ, cas le plus vraisemblable d’après ce qui précède, le taux de participation devrait être résultat d’un processus de vote ALÉATOIRE et donc SA VARIATION DANS LE TEMPS DEVRAIT ÊTRE ALÉATOIRE. Or une analyse de régression linéaire des valeurs du taux de participation au référendum constitutionnel donne les résultats suivants :

Heure (h)             Taux particip (T)            Taux modélisé
12                              26                                     25,58
14                              39                                      38,4
16                              48                                      51,22
17                              60                                     57,63
19                          70,62                                   70,45

 

Modèle régression linéaire : T=-51,34+6,41h

Coefficient de régression : R=0,99

Ce modèle montre qu’on est plutôt devant un processus fortement corrélé (R=0,99) et linéaire. Pour que ceci puisse être vrai pour le cas λ ≤ μ, il faudrait que le taux d’arrivée λ des votants aux bureaux de vote soit constant (ici égal à 6,41) ; ce qui présuppose que les votants se mettent d’accord et s’organisent (ou on les organise) pour arriver uniformément (dans le temps et dans l’espace) à ces bureaux. La probabilité qu’on ait ce cas, d’une façon aléatoire, est pratiquement nulle.

Est-ce la magie de l’exception marocaine ?

Amar Hammouche

Professeur à l’Ecole Mohammadia d’Ingénieurs (EMI)
Equipe de recherche IMOSYS
Ingénieur EMI
Ms et PhD Industrial Engineering, USA

 

 

Quelques liens :

* Taux de participation communiqués par le ministère de l’intérieur :

* Si vous voulez calculer vous même la régression linéaire des taux de participation

Scandale : Article interdisant les conflits d’intérêt pour les ministres supprimé de la version finale du projet de constitution

 

Après l’utilisation des imams, des enfants, des baltajias et de l’argent pour la campagne du “Oui” au référendum, un autre scandale vient d’être révélé sur les réseaux sociaux. La version quasi-finalisée du projet de constitution, comportait une mention très intéressante qui interdisait aux ministres tout activité commerciale ou conflit d’intérêt durant leur mandat de ministre. Cette mention a été supprimée de la version finale du projet, publiée dans le bulletin officiel, et donc soumise à référendum. On peut comprendre qu’un arbitrage royal puisse trancher entre un état civil ou un état religieux. Mais pourquoi alors supprimer, à quelques heures du discours royal, une mention explicite dans la constitution qui aurait pu contribuer à moraliser la vie politique au Maroc, et éviterait des scandales comme celui de M. Moncef Belkhayat & Bull Maroc par exemple. Serait-ce un lobby de ministrables businessmen qui ne souhaiterait pas lâcher les affaires pendant leurs mandats de ministres?

Voici les deux versions avant et après suppression :

Article 87 soumis au référendum [AR] [FR]  :

Le gouvernement se compose du Chef du Gouvernement et des ministres, et peut comprendre aussi des Secrétaires d’Etat.

Une loi organique définit, notamment, les règles relatives à l’organisation et à la conduite des travaux du gouvernement et du statut de ses membres.

Elle détermine également les cas d’incompatibilité avec la fonction gouvernementale, les règles relatives à la limitation du cumul des fonctions, ainsi que celles régissant l’expédition des affaires courantes par le gouvernement dont il a été mis fin aux fonctions.

 

Article 87 initial [AR] :

Le gouvernement se compose du Chef du Gouvernement et des ministres, et peut comprendre aussi des Secrétaires d’Etat.

Une loi organique définit, notamment, les règles relatives à l’organisation et à la conduite des travaux du gouvernement et du statut de ses membres, des cas d’incompatibilité avec la fonction gouvernementale, les règles relatives à la limitation du cumul des fonctions, ainsi que celles régissant l’expédition des affaires courantes par le gouvernement dont il a été mis fin aux fonctions.

Les membres du gouvernement, ne peuvent, pendant leur mandat de minsitre, exercer aucune activité professionnelle ou commerciale dans le secteur privé. Ils ne peuvent être parti dans les contrats conclus avec l’Etat, avec des entreprises publiques, ou collectivités territoriales, ou des organismes soumis au contrôle financier de l’Etat.

Après tout cela, comment ne pas être dégoûté et boycotter ce référendum?

Pourquoi je rejette le projet de la nouvelle constitution

 

Après 3 mois de travaux, la commission Manouni pour la révision de la constitution au Maroc a remis sa copie. Le discours du roi du 17 juin a annoncé les grandes lignes du projet. Et un référendum sera organisé le 1er juillet, soit 2 semaines à peine après la publication du projet, pour voter pour ou contre ce projet de constitution [FR] [AR]

Que penser de la démarche?

Je reviens tout d’abord au processus d’élaboration de ce projet. Suite aux manifestations du 20 février, les premières contre le pouvoir depuis plusieurs années (pour ne pas dire décennies), le roi a pris les devants dans un discours le 9 mars pour annoncer une révision constitutionnelle. Pour ce, il a nommé une commission composée d’experts technocrates et d’universitaires, chargée d’élaborer un projet de constitution, en consultation avec les partis politiques, centrales syndicales et représentants de la société civile. Tout ce beau monde a remis sa copie avec ses recommandations. La commission a ensuite poursuivi ses travaux à huis-clos sans qu’absolument rien ne filtre de ses travaux, mis à part quelques signaux “positifs” lancés pour calmer les esprits et rassurer sur le bon déroulement. A quelques semaines de la fin de ses travaux, on a vu des partis politiques MENDIER pour avoir à consulter la version finalisée ou quasi-finalisée du projet. RIEN ne filtrait. Les partis se sont donc résignés à découvrir le texte du projet en même temps que le reste des marocains. Ils ont finalement eu accès au document final quelques heures avant le discours royal, sans aucune possibilité de discuter le projet ou de présenter des amendements. Il ont tout simplement été mis devant le fait accompli en écoutant le discours royal. Cette démarche d’élaboration d’un texte aussi fondamental pour une nation, est à mon avis non démocratique. Beaucoup réclamaient à ce qu’une assemblée constituante élue se charge, assistée d’experts, de la rédaction d’une nouvelle constitution pour le Maroc. Les tunisiens s’apprêtent bien à le faire. Et je n’ose même pas mentionner l’exemple des islandais qui discutent de leur projet de constitution sur Facebook…

Que nous propose ce projet?

Je ne suis pas juriste et encore moins constitutionnaliste, mais je me permets, en tant que citoyen qui aspire au développement de son pays, d’avoir un avis sur le projet.

Les avancées :

Nombreuses sont les avancées indéniables dans ce texte. Je ne prétends pas toutes les souligner, mais je citerai celles qui me semblent les plus importantes, et surtout, celles que j’ai comprises 🙂

L’amazigh (Art 5) : Reconnaitre un pan aussi important de l’identité marocaine dans la constitution est un grand pas. Mais il aurait été préférable de l’instituer comme langue nationale plûtot qu’officielle. Ce concept est très difficile à appliquer. Nous avons déjà du mal à l’appliquer correctement à l’arabe (certaines correspondances de l’administration publique sont encore en français, présentations de ministres devant le roi en français…). Par ailleurs, l’amazigh n’est pas standardisé et il est aujourd’hui impossible à deux personnes parlant tarifit et tamazight de se comprendre. Quel amazigh donc choisir comme langue officielle? Je recommande vivement la lecture de l’article d’Ibn Kafka sur le sujet, et auquel j’adhère entièrement.

Dissolution des partis politiques (Art 9) : Seule la justice peut dissoudre un parti. Cela nous éviterait peut-être de revivre le scénario du Badil Al Hadari.

Vote des marocains de l’étranger (Art 17) : Longtemps considérés comme des vaches à lait, pourvoyeur de devises à leur pays, accorder le droit de vote aux MRE est désormais constitutionnalisé. L’expérience avait déjà été menée durant les années 90, mais avait tourné court.

Egalité des sexes (Art 19) : Le projet reconnait l’égalité des sexes dans la société, y compris ceux inclus dans les conventions internationales ratifiées par le Maroc, si celle-ci sont conformes à l’identité marocaine. En gros, on exclut les questions religieuses (héritage notamment).

Législation par dahir (Art 42) : L’exercice législatif par dahir est limité à certains champs. Les autres doivent être contresignés par le chef du gouvernement. C’est donc essentiellement le parlement qui légifère. Des juristes dans le coin pour nous éclairer?

Sacralité du roi (Art 46) : La personne du roi n’est plus sacrée. Sa personne est désormais inviolable, et le respect lui est dû.

Désignation du premier ministre (Art 47) : Appelé désormais Chef du gouvernement, il est choisi parmi le parti politique qui a remporté les élections. Cela aurait par exemple empêché Driss Jettou d’être premier ministre en 2002. L’article est à mon avis mal formulé, car il pourrait y avoir des cas où le parti gagnant des élections (mais sans majorité absolue) serait incapable de réunir une majorité parlementaire.

Interdiction de la transhumance politique (Art 61) : Aucun parlementaire ne peut adhérer à un parti autre que celui sous lequel il a été élu. Il perd son siège sinon. Une telle mesure aurait empêché l’existence d’un groupe parlementaire comme celui du PAM. Le parti n’existait tout simplement pas pendant les élections de 2007, et a réussi quand même à faire migrer des dizaines de parlementaires lors de sa création en 2008…

Immunité parlementaire (Art 64) : L’article délimite expressément l’immunité parlementaire à la seule liberté d’expression ou de vote. Mais cela suffira-t-il pour dissuader les mafiosi de siéger au parlement?

Conflits d’intérêts des ministres (Art 87) : L’article interdit explicitement aux membres du gouvernement d’exercer des activités lucratives dans le secteur privé. Donc à priori, à moins de vendre sa société de distribution de tabac (et bien d’autres), M. Moncef Belkhayat ne devrait plus siéger au gouvernement. Il manquerait à cet article de définir expressément la notion de conflit d’intérêt, notamment ceux impliquant les familles et proches des ministres (Belkhayat et le marché de Bull comme exemple). Article retiré de la dernière version publiée au Bulletin Officiel.

Suppression de la haute cour des ministres (Art 94) : Cette cour fixait des conditions draconiennes pour qu’un ministre soit présenté devant la justice. Les ministres sont désormais des justitiables comme les autres. Reste à savoir ce que dira dans le détail la loi prévue dans ce sens.

Le ministre de la justice ne siège plus dans le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (Art 115) : Une bonne avancée dans l’indépendance (très relative on le verra) du pouvoir judiciaire. On se rappelle comment M. Mohamed Naciri, actuel ministre de la justice s’était acharné contre le juge Hassoun.

Le texte comporte également beaucoup de verbiage sur les principes ô combien nobles des droits de l’homme, de la criminalisation de la torture (coucou DST de Temara), de la mal traitance humaine (Kamal Ammari Allah yrahmou). Le Maroc avait bel et bien légiféré sur tous ces aspects, ratifié beaucoup de traités internationaux, mais ne les a jamais appliqués. Les cas sont très nombreux. Qu’est ce qui obligerait l’exécutif de les appliquer cette fois-ci?

Les grosses insuffisances :

Le fameux Article 19 de l’actuelle constitution : Véritable constitution dans la constitution, beaucoup réclamaient sa suppression. Les pouvoirs qu’ils donnaient au roi semblaient illimités et couvraient de larges prérogatives. Le projet de constitution l’a gardé, en le scindant en 2 articles (41 et 42) en détaillant ces prérogatives. Toutes les attributions du roi de l’actuel article 19, sont maintenues dans ces 2 articles.

Nomination et démission des ministres (Art 47) : On s’attendait à des avancées sur ce point, mais ce ne fut pas le cas. Le roi nomme toujours les ministres sur proposition du premier ministre, comme c’est le cas dans l’actuelle constitution. Or, on sait très bien que dans la pratique (gouvernements Jettou et El Fassi), que la liste des ministres se prépare au sein du cabinet royal, et le premier ministre n’est quasiment pas impliqué dans son élaboration. C’est aussi l’article qui justifie l’existence de ministres de souveraineté sans appartenance politique (5 ou 6 à chaque gouvernement), ou de ministres technocrates affiliés à la va vite dans un parti politique la veille de leur nomination. Les exemples sont nombreux dans l’actuel gouvernement (Belkhayat, Benkhadra, Zenagui, Akhannouch…). Or ces ministres sans couleur politique, ne peuvent en toute logique démocratique être sanctionnés par les urnes. Le deuxième aspect est celui de la démission des ministres. Ces derniers peuvent être démis non par le président du gouvernement, mais uniquement par le roi! Humiliant pour ce président du gouvernement, qui de ce fait n’a pas de véritable autorité sur ses ministres. De plus, c’est une manière de protéger les ministres de “souveraineté” qui, même s’ils ne se conforment pas à la politique du gouvernement, ne peuvent être démis que par le roi.

Nomination des walis, gouverneurs, ambassadeurs, responsables de la sécurité intérieur et dirigeants des entreprises publiques stratégiques (Art 49) : Bien que ces hauts fonctionnaires font partie de la fonction publique, mise sous autorité du président du gouvernement, leur nomination est effectuée dans le conseil des ministres présidé par le roi. Or, compte tenu du déséquilibres du pouvoir, on peut très bien s’attendre à ce que ces nominations viennent directement du cabinet royal. Le président du gouvernement ne pourra qu’obtempérer. Or, ces walis et gouverneurs sont selon l’article 145 du projet, des représentants du “pouvoir central. Au nom du gouvernement, ils assurent l’application des lois, mettent en Œuvre les règlements et les décisions gouvernementales et exercent le contrôle administratif.” Comment peuvent-il rendre compte au chef du gouvernement alors que c’est un conseil présidé par le roi qui les a nommés? La même logique s’applique aux dirigeants des entreprises publiques stratégiques, qui sont censés se conformer à la politique générale du gouvernement.

Nomination des membres du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (Art 113) : Organe suprême de la magistrature, il se devait d’être complètement indépendant de l’exécutif. Or, seule la moitié de ses membres est élue par les juges. L’autre moitié est soit désignée directement par le roi, soit constituée de membres de droit (président du CCDH, médiateur, procureur général du roi auprès de la cour de cassation…), eux même désignés par le roi. L’indépendance de la justice, je la cherche encore…

Nomination de la Cour Constitutionnelle (Art 130) : La Cour constitutionnelle exerce, entre autres, le contrôle sur la constitutionnalité des textes adoptés dans le pays, ainsi que la validation des résultats des élections et des référendum. Or, la moitié de ses membres, y compris son président, sont directement nommés par le roi. Comment peut-on dans ce cas garantir son indépendance et son impartialité?

Pour se donner une idée plus globale des pouvoir du roi dans ce projet de constitution, je vous propose de jeter un coup d’oeil à ce graphe :

Réalisé par Reda Chraibi

Avec tous ces pouvoirs accordés au roi, peut-on dire que le Maroc sera une monarchie parlementaire? Absolument pas! Bien que l’article 1 stipule que “Le Maroc est une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale”, il s’agit à mon sens d’un verbiage inutile, et d’une superposition d’adjectifs contradictoires (constitutionnelle vs parlementaire).

Ce projet de constitution consacre-t-il le chef du gouvernement, issu des urnes, comme un véritable chef de l’exécutif? Absolument pas. Il est réduit à un exécutant sous tutelle obligé de faire valider ses décisions les plus importantes par le roi. Connaissant le déséquilibre des pouvoirs dans la réalité, on peut difficilement voir un chef du gouvernement s’opposer au roi.

Pour être plus concret, ce projet de constitution empêchera-t-il des bêtises comme le projet du TGV de voir le jour? Non. Obligera-t-il TOUS les ministres à rendre compte de leurs actions devant les marocains, au cours d’élections? Non. Empêchera-t-il l’entourage royal (à leur tête MM. El Himma et Majidi) d’intervenir à tout va dans les affaires du pays, sans aucun contrôle des instances élues par le peuple? Non. Rendra-il la justice plus indépendante de l’exécutif? Non.

La définition même de la démocratie est de pouvoir juger ceux qui nous gouvernement et de leur demander des comptes. Ce projet ne permet pas de le faire puisque celui qui détient le pouvoir exécutif, à savoir le roi, ne peut pas rendre de comptes.

Je ne veux pas demander des comptes à mon roi. Je veux qu’il reste au dessus de la mêlée. Un symbole de la nation. Un arbitre auquel on a recours quand il n’y en a plus d’autres. Ce n’est malheureusement pas le cas dans ce projet de constitution.

Ceux qui disent aujourd’hui que ce projet est une étape vers cet idéal ne connaissent pas l’histoire du Maroc. Le mouvement national avait déjà formulé ces demandes de roi qui règne mais ne gouverne pas pour la constitution de 1962. On leur avait répondu qu’il était encore trop tôt pour cela. 50 ans après, on attend toujours. Entre temps, des pays se démocratisent, se développent, progressent. La mondialisation fait que le monde ressemble à des parts de marché à conquérir, à des avantages concurrentiels à acquérir. Tout retard dans le développement peut être fatal pour un pays, et très difficilement rattrapable par la suite. Le Maroc et la Corée du Sud étaient au même niveau de développement durant les années 50 (même taux d’analphabétisme, PIB/habitant identiques…). On connait la suite.

Toutes ces raisons me poussent à rejeter ce projet de constitution. Je ne sais pas encore si je voterai non, ou que je boycotterai le scrutin, mais ce ne sera certainement pas un oui.

Liens :

Manifestations du 20 mars au Maroc : quelles leçons? (+ Photos)

Après des manifestations à succès le 20 février, les marocains sont à nouveau sortis dans les rues ce 20 mars 2011. Les manifestations se sont globalement bien déroulées, malgré des craintes de répression policière sauvage après celle du 13 mars à Casablanca. Les forces publiques sont restées finalement quasi-invisibles se contentant de suivre la marche de loin.

Mais que pouvaient demander ces manifestants après le discours royal du 9 mars? Le roi n’a-t-il pas annoncé des réformes constitutionnelles, conformément aux demandes des manifestants du 20 février?

Le discours a certes été globalement positif, mais la manière de réformer ne correspondait pas à ce qu’attendent une bonne partie des marocains. Plutôt que d’appeler à l’élection d’une assemblée constituante (comme cela se fera en Tunisie et comme ça s’est fait en Islande), puis de soumettre le texte à un référendum, le roi a préféré nommer une commission chargée de réformer la constitution, puis de la soumettre au référendum. Cette méthode ne garantit absolument pas que les revendications du peuple marocains seront prises en compte, et connaissant la machine médiatique et sécuritaire du makhzen, il ne fait aucun doute que cette constitution sera adoptée à plus de 90%… En 55 ans d’histoire indépendante du Maroc, aucune constitution n’a été adoptée à un niveau inférieur…

Le reste des revendications du mouvement du 20 février porte sur l’indépendance de la justice (le roi préside toujours le conseil suprême de la magistrature), la séparation entre le pouvoir et les affaires (le mastodonte SNI garde toujours la main sur d’importants pans de l’économie marocaine), l’instauration d’une vraie culture contre l’impunité des dirigeants du secteur public, la libération de tous les détenus politiques, une plus grande liberté de presse et un service public médiatique plus ouvert à la diversité politique et sociale.

D’autres revendications à caractère social sont évoquées par le mouvement du 20 février (emploi, santé, éducation, logement, vie chère…). Mais à mon humble avis, le jour où on aura un gouvernement issu de la vraie volonté populaire, qui rend des comptes devant le peuple, et où sont représentés les meilleurs compétences que compte le pays, ces questions sociales seront naturellement adressées.

Quand on voit que les quelques manifestations du 20 février ont déclenché énormément de réactions en si peu de temps, cela nous incite à continuer la mobilisation pour maintenir le momentum.

Mais s’il y a une chose dont on peut déjà se réjouir, c’est le regain d’intérêt des marocains pour la politique. On peut déjà s’attendre à des taux de participation élevés lors des prochaines élections, loin des ridicules 20-30% des élections de 2007. Reste aux partis politiques de mieux répondre aux attentes des marocains, et à être plus proche des citoyens et de leur revendications. C’est leur rôle, et il semble qu’ils n’ont pas tous reçu le message.

Pour finir, ce qui m’a le plus frappé dans ces manifestations du 20 février et 20 mars, c’est que c’est la première fois pour des gens de ma génération (j’ai 26 ans) qu’on sort aussi massivement manifester pour notre pays. Nous qui n’avions l’habitude que de sortir pour les autres. Palestine pendant la 2ème intifada, Iraq lors de l’invasion américaine. Il était temps qu’on exprime notre mécontentement par rapport à ce qui se passe au Maroc.

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