Rebbah, Boulif, Khlie : dégagez!

Déraillement train Khouribga
Déraillement d’un train phosphatier à Khouribga (Source)

Depuis quelques semaines, l’ONCF part en vrille. Encore plus qu’avant. Les incidents se comptent par dizaines chaque semaine. Les usagers les subissent de plein fouet. Tant pis s’ils ratent des avions, des RDV importants, arrivent en retard à leur travail chaque jour ou voyagent dans des conditions indignes, même pour du bétail. Et la direction de l’ONCF ne semble guère s’en soucier. On ne compte plus les sit-in, les réclamations par centaines (auxquelles ils ne répondent jamais), et les articles de presse. Les dirigeants de l’ONCF restent enfermés dans leur tours d’ivoire, laissant leurs employés sur le terrain (dans les gares et trains) subir de plein fouet les foudres des usagers.

Tout au long des derniers mois, l’ONCF a connu des incidents ou accidents, les uns plus graves que les autres, entrainant des perturbations et des dysfonctionnements majeurs :

  • 25 mai 2014 : Un incendie se déclare dans un wagon pas loin de la gare de Rabat Agdal. Probablement dû à un court circuit. Pas de victimes heureusement.
  • 20 aout 2014 : Déraillement d’un train entre Mohammedia et Casablanca, ayant causé la mort d’un cheminot, et plusieurs blessés parmi les passagers
  • 9 avril 2015 : Un incendie se déclare dans un train près de Meknès, entrainant l’intervention des pompiers, et l’arrêt de la circulation des trains sur ce trançon
  • 20 avril 2015: Un train a roulé sans chauffeur, sur une distance de 1,5 Km, alors qu’il transportait des passagers à partir de la gare de Kenitra
  • 30 avril 2015 : Un train est tombé en panne vers Kenitra. De la fumée s’est dégagée de la locomotive, entrainant l’enfumage des passagers, et le blocage total de la circulation des trains navette pendant de longues heures. Des passagers excédés occupent alors la voie à la gare de Temara, pour protester contre les retards interminables. Résultat, le train devant quitter Rabat à 7h30 arrive à Casa Port aux environs de 11h.
  • 12 mai 2015 : La rupture de l’alimentation électrique aux environs de Mohammedia bloque le trafic pendant 3h. Les passagers vivent l’enfer au bord des trains. Sans parler des passagers bloqués dans les gares, et qui ont dû attendre des heures avant l’arrivée de leurs trains.
  • 12 mai 2015 : Un train phosphatier déraille aux environs de Khouribga ne causant aucun dégât humain, mais entrainant des dégâts matériels visiblement importants

Cette liste est, bien entendu, non exhaustive, et a pour seul intérêt de démontrer que le laisser-aller des responsables et employés de l’ONCF a atteint des niveaux sans précédents. Et on ne parlera pas des trains constamment en retard, des climatisations en panne en plein été (et sans possibilité d’ouvrir les fenêtres), des trains surencombrés et insuffisants en heure de pointe… Même les ministres de tutelle, MM. Rebbah et Boulif confirment la dégradation des services de l’Office, mais ne semblent pas s’en soucier plus que cela.

Et puis, parlons des difficultés financières de l’Office. L’ONCF affiche un résultat net négatif de 220 millions de DH au titre de l’année 2014. Cette descente aux enfers ne fait que commencer, en raison de l’arrêt progressif du transport des phosphates de Khouribga à Casa et Jorf Lasfar (avec l’entrée en marche du pipeline OCP) et dont les revenus représentaient ~40% du chiffre d’affaires total de l’Office, de l’endettement massif dû au projet TGV, et avec la subvention à venir des billets TGV qui ne devraient pas dépasser 200 à 300 DH entre Rabat et Tanger (contre un coût réel estimé entre 700 et 1000 DH). Avec tout cela, l’ONCF ne pourra pas échapper à l’avenir à une situation similaire à celle de l’ONEE aujourd’hui : un office avec des déficit abyssaux, et un endettement colossal, incapable de s’en sortir sans plan d’aide publique massif. Plusieurs acteurs avaient pourtant levé l’alerte sur ce projet inutile, inefficient et surtout, très défavorable financièrement à l’Office.

Pour toutes ces raisons, et par respect aux usagers des trains et aux citoyens marocains, il devient nécessaire que les premiers responsables de cette situation, à savoir M. Rebbah (Président du conseil d’administration de l’ONCF et ministre de tutelle), M. Boulif (co-ministre de tutelle) et M. Khlie (DG de l’ONCF), prennent leur responsabilité, et démissionnent de leur postes respectifs. On trouvera bien plus compétents qu’eux.

ONCF : la mauvaise gestion en chiffres

ONCF - Casa Port
ONCF – Casa Port

C’est un fait : le service public assuré par l’ONCF est plus que déplorable. Retards, encombrement, problèmes d’aération et de climatisation, propreté… On ne compte plus les désagréments que fait subir l’ONCF à ses clients. Mais jusqu’à quel point ce service est-il dégradé?

Pour y répondre, un petit groupe de 3 personnes, usagers réguliers de la ligne Rabat – Casablanca, ont noté tous leurs trajets (un total de 100) sur une durée de 45 jours (entre le 15 septembre et le 30 octobre 2014).
Le constat est édifiant.

42% de trains en retard

Quand peut-on considérer qu’un train est en retard? Pour un trajet d’une heure, comme celui de Rabat – Casablanca, une arrivée après 5 min de l’heure prévue, est considérée comme un retard. Il s’ agit de la définition adoptée par la SNCF française, et par l’ONCF en interne. La mesure de cet indicateur sur les 100 trains fait ressortir un taux de retard très élevé de 42% (et 17% de retards de plus de 15 min, sur un trajet d’une heure).
A quoi sont dus ces retards? L’ONCF ne vous le dira pas. Mais d’après les observations, ils dont souvent dus à une mauvaise organisation, à des problèmes de coordination et de communication, et à des défaillances du matériel. Très peu sont dus à des accidents sur la voie. Pire, l’ONCF n’avertit que très rarement ses passagers sur ces retards. Plusieurs agents peuvent se trouver sur un quai de la gare, mais sont incapables de vous dire quand arrivera ou démarrera un train, ou même quelques fois, lequel démarrera parmi ceux qui sont stationnés dans la gare.

A signaler qu’un des trains de l’échantillon a effectué le trajet Casablanca – Rabat en 2h20, après une panne matérielle au milieu de nul part. Le conducteur n’a même pas trouvé utile d’en informer les passagers après 30 minutes à l’arrêt. La réaction naturelle des passagers a été d’occuper la voie ferrée et de bloquer le trafic en attendant l’arrivée de responsables de l’ONCF et d’un train les ramenant chez eux.  

 

32% de trains non climatisés

Plutôt de parler de climatisation sur les trains ONCF, on devrait plutôt parler d’aération. Le génie qui a commandé les trains italiens a peut être oublié que le Maroc était un pays relativement chaud et qu’il serait utile d’avoir des fenêtres dans les rames. Que nenni! Si la clim ne fonctionne pas, sans oxygène tu crèveras! En plus d’avoir des fenêtres minuscules, celle-ci sont souvent condamnées et donc impossible à ouvrir. Et quand la climatisation ne marche pas, ou que le contrôleur oublie de l’allumer (ce qui arrive souvent), le train se transforme en une véritable fournaise. Et tant pis pour vous si vous n’avez pas ramené votre kit de gommage.

Plein tarif tu paieras, debout tu resteras

Sur la ligne la plus fréquentée au Maroc, vous ne trouverez pas de place assise dans 15% des cas. L’ONCF ne juge pas utile de renforcer son trafic aux heures de grande affluence : entre 7h et 10h, et entre 17h et 19h. Et les trains sont absolument à éviter les lundi matin et les vendredi soir.

En cas de souci, le contrôleur disparaitra

Dans 31% des cas, aucun passage de contrôleurs n’a été signalé. Quand il s’agit d’un train-bétaillère (définition plus bas), les contrôleurs ONCF ne sont pas passés dans 100% des cas. Ils évitent systématiquement de passer, de peur de subir les foudres des passagers.    

5% des trains en mode bétaillère

Qu’est qu’un train-bétaillère? C’est la définition donnée par les usagers fréquents aux trains à la fois en retard, très encombrés, et sans climatisation. Et cela arrive dans 5% des cas. Priez de toutes votre énergie pour ne pas avoir à vivre cette expérience, elle est éprouvante.

Plainte tu déposeras, dans la poubelle elle finira

Énormément d’usagers de l’ONCF ne semblent pas être au courant qu’il existe des registres de réclamation dans toutes les gares. Mais problème: l’ONCF semble plutôt les utiliser comme défouloir pour les passagers mécontents, puisque ces réclamations ne sont tout simplement pas traitées. Sur 7 réclamations déposées en un an, aucune réponse n’a été reçue de la part de l’ONCF. Sont-ils au moins au courant que la négligence dans le traitement des plaintes des clients peut devenir un motif de poursuite judiciaire au Maroc?

 

Ceci est un aperçu de la qualité de service médiocre qu’offre l’ONCF à ses usagers sur l’axe Casa-Rabat. Et il est de notoriété publique que cet axe reste le mieux servi par l’ONCF. Les lignes vers Marrakech, Oujda et Tanger sont de loin plus négligées, et les voyages se passent dans des conditions plus que déplorables : retards, encombrements extrêmes, climatisation constamment en panne (même en 1ère classe), vandalismes, problèmes de sécurité à l’intérieur des trains…

Au vu des importantes sommes engagées, l’ONCF semble aujourd’hui se soucier plus de son business immobilier (très rentable) que du développement des infrastructures et du renforcement de ses dessertes, alors que c’est sa vocation première, sa mission de service public. En face des importants investissements dans le renouvellement des gares, pour les transformer en centres commerciaux, on retrouve des rames vétustes (que l’on remplace par de vieux Corail français récupérés chez la SNCF), un réseau mal entretenu à certains points, et peut s’avérer dangereux pour les usagers. Et on ne parle même pas des petites gares de Temara, Skhirat et Bouznika laissées en l’état depuis le départ des colons français, malgré la forte affluence qu’elles connaissent.

L’ONCF semble aujourd’hui orienter toutes ses ressources financières disponibles au projet du TGV (qui connaît, comme prévu, des retards importants), au détriment de l’entretien, et de l’amélioration de son réseau classique, qui couvre le reste du Maroc, et au détriment de ses passagers, dont personne ne semble se soucier.

 Les données brutes recueillies sur les 100 trajets ayant servi à construire les statistiques de cet article sont disponibles à la demande.

L’ultralibéralisme économique : cette facette méconnue du PJD

Benkirane - WEF
Benkirane au World Economic Forum de Davos

Il existe une facette chez le PJD, qui est assez méconnue, et rarement mise en avant dans le discours populaire de ses dirigeants. Elle se manifeste souvent à travers des actions, des décisions ou des prises de position rapportées de réunions à huis clos.
L’ultralibéralisme du PJD, puisque c’est de cela que l’on parle, s’est dernièrement manifesté lors d’une récente sortie du Chef de Gouvernement, Abdelilah Benkirane, pendant une cérémonie de la Banque Africaine de Développement. Il déclare [1] [2] [3]: “Il est temps que l’État lève le pied sur certains secteurs, comme la santé et l’éducation” et que “le rôle de l’État doit se limiter à assister les opérateurs privés qui veulent s’engager sur ces secteurs”.

Est-ce une boutade? Une déclaration incontrôlée? Cela ne semble pas le cas, au vu des réalisations de l’actuel gouvernement dans différents domaines.

L’éducation : le privé en sauveur

On assiste depuis 2 à 3 ans à une explosion du nombre d’université et facultés privées, dans un contexte de faillite totale de l’éducation publique. La libéralisation des études en médecins avec l’ouverture de deux facultés de médecine privées à Casablanca et Rabat (et aucune ouverture de nouvelle faculté publique de médecine), plusieurs écoles d’ingénieurs privées marocaines et étrangères (et aucune nouvelle école d’ingénieurs publique), plusieurs universités et campus privés multidisciplinaires (et aucune nouvelle université publique)… L’État semble se résigner à construire des amphithéâtres à la va-vite pour remédier au surpeuplement des universités publiques, mais manque de  stratégie à court, moyen et long terme pour faire face aux profonds changements démographiques devant (ou plutôt ont déjà commencé à) faire exploser le nombre d’étudiants dans les cycles supérieurs de l’enseignement. L’autre revirement constaté depuis quelques mois, est la reconnaissance par l’État de certaines universités privées, ligne rouge qu’aucun gouvernement depuis l’indépendance du Maroc n’a osé franchir! Sans oublier le souhait, que n’a jamais caché le ministre de tutelle, M. Daoudi, de rendre les universités publiques payantes. Mesure qu’il n’a jamais pu appliquer face au tollé général.

Au niveau de l’enseignement primaire, même l’ONU s’inquiète dans un récent rapport du poids excessif que prend l’enseignement privé dans l’enseignement primaire. Au rythme de croissance de l’enseignement privé au Maroc, 97% des élèves du primaires devraient être inscrits dans des écoles privées d’ici 25 ans.

L’éducation publique ne joue/jouera plus son rôle d’ascenseur social, et l’accès à une éducation de qualité sera réservé à ceux qui pourront se la payer. Une forme de reproduction des élites sera alors en cours.

Santé : “marchandisation” des soins en cours

Le secteur de la santé s’apprête à connaître un chamboulement majeur avec l’ouverture du capital des cliniques à des investisseurs privés, alors que l’ouverture de celles-ci était strictement réservée aux médecins. Un pas de plus vers la “marchandisation” du secteur, en le rendant régi par les dures lois de rentabilité financière, sans beaucoup d’égard au caractère très particulier du secteur.

Pendant ce temps, les hôpitaux publics souffrent d’énormes manques de moyens, de problèmes de disponibilité du personnel médical, souvent très occupé à servir dans les cliniques privées, qui seront encore plus nombreuses avec la nouvelle loi. La classe moyenne se rue, malgré ses moyens limités vers les cliniques pour le moindre petit souci de santé, alors qu’elle est censée recevoir un service public de qualité, ne serait-ce qu’en contre partie des lourds impôts qu’elle paye. Quand aux plus démunis, ils n’ont d’autres choix que de se résigner d’aller aux hôpitaux publics, ô combien insalubres, pour tenter de se faire soigner et d’en sortir vivants.

Infrastructures : l’État se désengage de plus en plus

Après la libéralisation de la production de l’électricité, qui profite largement au holding royal SNI, via sa filiale Nareva (parcs éoliens, station électrique géante de production via charbon “propre” à Safi…), une décision passée largement inaperçue concerne un des secteurs les plus vitaux pour le Maroc : l’eau. Ou plus précisément, la production hydroélectrique. Sur décision du ministre PJD de l’Énergie et des Mines, M. Abdelkader Amara, des groupes privés pourront désormais construire leurs propres barrages pour produire de l’électricité, revendue ensuite à l’ONEE. Ainsi, il reviendra aux investisseurs privés de choisir le site qui leur convient (et qui offre donc la meilleure rentabilité financière possible), et d’y construire un barrage, et de “lâcher” les eaux, au gré des désirs et des souhaits de ces investisseurs. Alors que c’est à l’État que revenait jusque là, cette mission de construction des barrages et de contrôle de leurs niveaux d’eau. Ne se rend-on pas compte que nous sommes en train de confier ce qui est notre ressource naturelle la plus précieuse à des entreprises pour lesquelles seule la rentabilité financière importe? Le groupe Brookstone Partners qui se dit américain, s’apprête d’ailleurs à construire 3 barrages pour se lancer dans la production électrique. Qui les contrôlera?

Un discours de moralisation de la vie politique, mais économiquement ultralibéral dans les faits

On a vu ainsi que depuis 3 ans, le gouvernement PJD ne cesse de lancer un discours moralisateur de la vie publique (largement inefficace, mais là, c’est une autre histoire), alors que économiquement, le parti se positionne sur un registre ultralibéral, qui limite le rôle de l’État à un facilitateur de business (comme le décrit M. Benkirane).

Et le service public dans tout cela? Pourquoi les marocains payent-ils leurs impôts? Est-ce uniquement pour que l’État exerce ses pouvoirs régaliens (sécurité, justice, monnaie) ? Ce n’est pas en tout cas l’attente des marocains qui croulent sous le fardeau de la pauvreté et des inégalités profondes.

Les marocains attendent de recevoir un service public de qualité, en termes d’éducation, de santé, d’infrastructures… La classe moyenne ne demande pas forcément des revenus supplémentaires, mais plutôt des services publics qui lui permettront d’alléger ses finances alourdies année après année par les charges toujours plus exorbitantes de logement, d’énergie, de transport… et auxquelles il faut rajouter les charges liées à l’éducation de leurs enfants et des frais de santé, qui sont censés être fournis gratuitement par l’État. N’est-ce pas une contrepartie juste pour les impôts toujours plus lourds qu’ils payent?

Votez Fédération de la Gauche Démocratique !

Le gouvernement ne doit plus organiser les élections

Elections Maroc

Les élections au Maroc ont, depuis l’indépendance, constitué une occasion tant attendue par le Makhzen pour instaurer son image de système démocratique, où les choix du citoyens semblent être respectés avec un processus électoral bien huilé, et aboutissant à des institutions démocratiquement élues.

Si les méthodes de bourrage d’urnes semblent être dépassées pour “orienter” le résultat des élections, d’autres méthodes plus subtiles et plus complexes sont venues prendre le relais pour renforcer l’hégémonie du Makhzen sur le système électoral. Toutes ces méthodes peuvent être réunies dans ce qu’on peut appeler “l’ingénierie électorale”. Elle se manifeste dans le choix du mode de scrutin (uninominal/liste, 1 tour/2 tours…), dans le découpage électoral, dans l’élaboration des listes électorales, dans le déroulement matériel du scrutin…

Mis à part le choix du mode de scrutin qui passe par la voie législative (on doit être le seul pays au Monde à voter une nouvelle loi électorale à la veille de chaque élection…), tous ces aspects sont aujourd’hui gérés exclusivement par le Ministère de l’Intérieur tout puissant. Or, force de reconnaitre que ce ministère n’a pas un passif très reluisant en matière de gestion des élections depuis l’indépendance : utilisation massive des chioukh et mqadems qui sont sous tutelle du ministère pour favoriser tel ou tel candidat, utilisation des moyens très importants du ministère pour faire pencher le camp d’un candidat ou un autre (renseignements généraux et DST entre autres…), gestion du processus de la mise à jour des listes électorales de bout en bout…. Comment garantir la neutralité de l’Intérieur dans le scrutin? C’est tout simplement impossible. M. Benkirane, qui semble s’enorguillir de sa “supervision politique” des prochaines élections locales, nous prend certainement pour des abrutis.

Le seul et unique moyen de garantir la neutralité du gouvernement et du ministère de l’intérieur dans l’organisation des élections, est de confier la gestion de l’ensemble du processus électoral à une instance indépendante de l’exécutif. L’Istiqlal et l’USFP menacent aujourd’hui de ne pas participer aux prochains scrutins s’ils ne sont pas organisés par une instance indépendante. Mais on a tout de même beaucoup de mal à les croire. Il s’agit d’une revendication qu’ils formulent depuis 1997. Ce qui ne les a pas empêché de participer à tous les scrutins depuis.

Un des points revendiqués par beaucoup de partis politiques marocains, est celui de la refonte des listes électorales, établies en 1994 sous la houlette d’un certain Driss Basri, et mises à jour des dizaines de fois, sans qu’elles ne soient complètement assainies. Elles ne comptent aujourd’hui que 13 millions d’inscrits, alors que le nombre de marocains de plus de 18 ans et éligibles au vote avoisine le double! D’où l’appel de beaucoup à adopter les bases de données de la Carte Nationale d’Identité comme base d’inscription aux listes électorales. Mais le Ministère de l’Intérieur s’obstine à refuser cette méthode, sans présenter aucun justificatif valable. En voilà un exemple de plus de manipulation indirecte des élections. Et là encore, la seule solution devant un tel entêtement est de confier tout le processus électoral à une entité indépendante.

Beaucoup de pays démocratiques ont adopté un tel système. Mais comment s’y prennent-ils? Voici un récapitulé des pratiques en Tunisie, Espagne et Sénégal, pour ne citer que ceux qui sont les plus proches.

Pays Prérogatives Membres
Drapeau de Tunisie Tunisie : Instance Supérieure Indépendente des Elections
  • Proposer la répartition des circonscriptions électorales
  • Préparer le calendrier électoral
  • Arrêter les listes des électeurs
  • Garantir le droit de vote à tous les citoyens et citoyennes
  • Garantir le droit d’éligibilité
  • Recevoir les demandes de candidatures aux élections,
  • Assurer le suivi des campagnes électorales et veille à assurer l’égalité entre tous les candidats et candidates
  • Organiser des campagnes pour vulgariser le processus électoral et inciter à la participation aux élections
  • Contrôler le processus électoral le jour du déroulement des élections et suivre les opérations de vote et de dépouillement
  • Recevoir et statuer sur les recours conformément aux dispositions du décret-loi relatif aux élections de l’assemblée nationale constituante
  • Accréditer les observateurs et les contrôleurs tunisiens aux bureaux de vote
  • Accréditer les observateurs internationaux
  • Annoncer et déclarer les premiers résultats des élections et publier les résultats définitifs
  • Un magistrat judiciaire
  • Un magistrat administratif
  • Un avocat
  • Un notaire ou un huissier de justice
  • Un enseignant universitaire
  • Un ingénieur spécialisé en logiciels et en sécurité informatique
  • Un expert en communication
  • Un expert en finances publiques
  • Un représentant des Tunisiens à l’étranger
Drapeau d'Espagne Espagne : Junta Electoral Central & les
  • Diriger et superviser la mise à jour des listes électorales
  • Supervision des Juntas Electorales Regionales qui ont elle même des prérogatives de contrôle et supervision des élections
  • Contrôle des dépenses électorales des partis politiques

 

  • 8 magistrats de la Cour Suprême
  • 5 Professeurs Universitaires en Sciences Politiques ou Sociologie (désignés par le Chambre des Députés)
Drapeau du Sénégal Sénégal : Commission Electorale Nationale Autonome
  • Superviser et contrôler tout le processus d’établissement et de gestion du fichier électoral
  • Superviser et contrôler l’établissement et la révision des listes électorales
  • Contrôler et superviser toute mise à jour de la carte électorale (découpage)
  • Superviser et contrôler le dépôt des dossiers de candidature aux élections
  • Participer aux travaux des commissions de recensement des votes
  • Superviser le ramassage et la transmission des procès-verbaux des bureaux de votes
12 membres nommés par décret et choisis parmi les personnalités indépendantes exclusivement de nationalité sénégalaise connues pour leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle, leur neutralité et leur impartialité, après consultation d’institutions, d’associations et d’organismes tels que ceux qui regroupent Avocats, Universitaires, Défenseurs des Droits de l’Homme, Professionnels de la communication ou de toute autre structure

Si nos valeureux députés veulent faire avancer la démocratie au Maroc, ils ont intérêt à pousser pour l’adoption d’une telle instance, au lieu de chercher des compromis ne servant que leurs intérêts. A commencer par les députés PJD qui nous ont promis monts et merveilles pour lutter contre “Lfassad”.

Non, le 20 février n’est pas mort

© Mehdy Mariouch
© Mehdy Mariouch

Ceux qui réduisent le mouvement du 20 février aux manifestations se trompent. Le 20 février est beaucoup plus que cela.

Il y a 3 ans, des dizaines de milliers de marocains battaient le pavé dans des dizaines de villes marocaines pour demander la dignité, un vrai Etat démocratique et la fin de la corruption qui ronge le pays. En contre partie, ils ont très vite obtenu une nouvelle constitution, la chute du gouvernement, et de nouvelles élections. Certes, toutes ces manœuvres avaient pour but d’étouffer les manifestations et d’embellir l’image du Maroc à l’Etranger, mais il y a néanmoins eu un certain nombre d’acquis que le mouvement a obtenu en quelques mois, alors que certaines partis politiques les réclamaient depuis des années.

Mais si les manifestations se sont arrêtées, et que le Makhzen est revenu en force récupérer ce qu’il a cédé durant quelques mois, l’esprit du 20 février demeure très présent.

Cette courte période a appris aux marocains qu’ils pouvaient descendre dans la rue pour leurs propres intérêt, alors que jusqu’en 2011, on ne descendait (ou on ne nous laissait descendre) que pour les autres : l’Irak, la Palestine… La meilleure preuve reste celle de la manifestation qui a suivi la grâce royale de Daniel Galvan. Les marocains n’ont pas eu peur de descendre, malgré la violence policière, protester contre une décision royale. Et ils ont fini par obtenir gain de cause après l’annulation de la grâce.

Et puis cette liberté de ton dont jouissent les marocains depuis 2011, est incontestablement une avancée. Sur les réseaux sociaux notamment, plus personne n’hésite à critiquer le Makhzen et ses différents corps. La presse (enfin, une partie…) surveille de près ce qui se passe dans l’Etat, et des petits scandales suffisent à faire trembler des ministres. L’affaire de la facture de chocolat du ministre El Guerrouj en est le meilleur exemple. Qui aurait pu imaginer avant 2011, qu’une facture de 33 000 DH pouvait menacer un ministre?

Si certains des militants du 20 février croupissent encore en prison (contrairement à ce qu’affirme le Chef de Gouvernement, pour qui il n’y a pas de prisonniers politiques au Maroc), beaucoup d’autres se sont disséminés un peu partout : journalistes, militants de Droits de l’Homme dans diverses associations, musiciens chanteurs (L7a9ed, L’Bassline…). D’autres sont en train de constituer de nouveaux partis politiques qui pourront constituer de vraies alternatives aux partis-boutiques actuels.

Les relais à la protestation de rue sont bien là. Et ils constituent un vrai contre-pouvoir pouvant contrer les abus du Makhzen.

Certes beaucoup de travail reste encore à faire. Mais les bases d’un contre-pouvoir durable sont bien là.

Non, le 20 février n’est pas mort. Il ne l’est que pour ceux qui souhaitent qu’il le soit.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=93wA2sNZQrY[/youtube]

Observation lunaire : cet anachronisme du XXIème siècle

Moon

C’est le même scénario qui se répète à la veille de chaque fête religieuse : groupés autour du JT de la RTM, les marocains attendent avec impatience l’annonce de l’apparition (ou pas) du croissant de lune annonçant le début d’un mois du calendrier Hégire. Et à chaque fois c’est la même histoire : personne ne sait s’il faut prévoir son départ en voyage la soirée même ou le lendemain, s’il faut planifier ses réunions professionnelles ou pas, s’il faut arrêter ou maintenir les chaines de montage dans les usines, s’il faut prévoir des livraisons pour ses clients, etc.

Cette aberration a une origine : au Maroc, on adopte une approche très stricte et conservatrice de l’observation lunaire. Il s’agit de comités disséminés tout au long du pays et chargés d’observer l’apparition du croissant lunaire à l’œil nu. Le Maroc a refusé d’adopter toute approche moderne utilisant les calculs astronomiques ou l’utilisation d’appareils optiques pour faciliter l’observation lunaire, comme le font d’autres pays musulmans. Interdiction de tous les appareils modernes? Pas vraiment, puisque la légende dit que Hassan II envoyait régulièrement des avions militaires chercher le croissant lunaire au dessus des nuages quand la météo n’était pas clémente…

Un tel rituel archaïque est-il toujours justifié au XXIème siècle? Car si une partie relève de l’interprétation très stricte du verset coranique « فَمَن شَهِدَ مِنكُمُ الشَّهْرَ فَلْيَصُمْهُ». (البقرة: 185), il ne semble pas aujourd’hui nécessaire de mobiliser des bataillons d’observateurs, d’attendre la veille d’une fête religieuse pour annoncer au gentil peuple l’observation ou pas du croissant lunaire. L’astronomie (où les arabes excellaient) est suffisamment avancée pour prévoir avec une très grande précision les mouvements de la lune. Pour preuve, j’utilise personnellement depuis plus de 3 ans les calculs du site MoonSighting.com pour prévoir les fêtes religieuses. Et en plus de 3 ans, les calculs du site ne se sont jamais trompés! J’organisais ainsi mes voyages, déplacements et rendez-vous professionnels sans attendre le fameux communiqué du ministère des Habous.

Prévoir le début d’un mois de l’Hégire un an à l’avance en utilisant des méthodes scientifiques, est-il haram? Je ne le pense pas. L’attachement de l’État marocain à une méthode aussi archaïque relève, à mon avis, d’un désir de garder la mainmise sur l’espace temporel des sujets que nous sommes. Aucune date de fête religieuse ne peut être fixée à l’avance. Nous serons toujours dans l’attente de LEUR feu vert pour avoir une date. J’en tiens également pour preuve l’annulation du passage à l’heure GMT, 12h avant l’entrée prévue de son application. Une chouha intergalactique que nous a infligé notre cher gouvernement qui a préféré prendre une telle décision à la dernière minute, quitte à perturber le fonctionnement du pays…

Une solution? Adopter les calculs astronomiques comme unique méthode d’observation lunaire, et qui aiderait à établir un calendrier hégire précis à un horizon d’au moins un an. Les observations lunaires ne devraient être qu’un moyen de confirmer ce calcul, quitte à le corriger et améliorer sa méthodologie si jamais ces observations infirment les résultats du calcul.

Un Etat moderne du XXIème siècle peut difficilement s’en passer…

NB : Le Maroc utilisant uniquement l’observation à l’œil nu (et aucun instrument optique), les zones à observer sur Moonsighting.com , sont uniquement les zones vertes et bleues sur les cartes.

Compensation : l’Etat ne subventionne plus les carburants

Il fallait s’y attendre : l’agonisant gouvernement Benkirane a finalement décidé de revenir à l’indexation des prix à la pompe des carburants, mesure en vigueur  1995 et 1999. Et encore une fois, le gouvernement Benkirane a choisi la solution de la facilité pour réformer la caisse de compensation.

Après les augmentations des prix à la pompe de juin 2012, et au lieu de mettre en place des mesures viables à long terme et bénéfiques pour les plus démunis, le (presque) gouvernement ne trouve rien de mieux que d’augmenter à nouveau le prix à la pompe.

Où sont les promesses de mise en place d’aides directes, promises par le ministre Boulif en juin 2013? Où sont les mesures permettant aux professionnel du transport de récupérer la subvention directement via des mesures fiscales, en utilisant le mécanisme du gasoil professionnel? Où est le débat global promis par M. Boulif sur la réforme de la compensation, véritable chantier prioritaire pour le Maroc, nécessaire pour sauver les finances publiques. Rien de cela n’a été fait, et il semble que rien ne presse pour un gouvernement préoccupé par sa survie plus qu’autre chose…

Mais revenons à la subvention du diesel et de l’essence. Un communiqué du gouvernement annonce aujourd’hui que l’État continue tout de même à subventionner à hauteur de 0,8 dhs/litre le super carburant, et à 2,6 dhs/litre pour le gasoil. Qu’en est-il réellement?

La fiscalité sur les carburants est composée de deux taxes : la Taxe Intérieure de Consommation (TIC), qui est fixée à 242,2 DH/hectolitre de diesel et à 376,4 DH/hectolitre de super carburant, ainsi que la TVA dont le taux est de 10% sur le prix de vente (contre 7% avant 2010).

Un simple calcul suffit à démontrer, qu’au contraire, c’est bien le consommateur final qui contribue au budget de l’État à hauteur de 0,7 DH/litre de diesel acheté et de 4,24 DH/litre d’essence.

 

Décomposition_prix_carburant_092013

NB : Le prix de vente indiqué est celui de la sortie de la rafinnerie de la Samir. Les prix de transport sont en sus, en fonction de l’éloignement de Mohammédia.

 

Il est temps d’en finir avec les discours “pompeux” M. le ministre 🙂

 

Quelques liens :

 

Finances publiques : la descente aux abysses

Déficit

Ce n’est un secret pour personne, mais les finances publiques marocaines vont mal. A quel point? Un bulletin de la Trésorerie Générale du Royaume (la caisse de l’Etat) à fin 2013, fait état d’une situation peu enviable des finances publiques.

Recettes-Dépenses-Etat-S12013

Les recettes de l’Etat au premier semestre 2013 se sont élevées à 100 milliards de DH, alors que les dépenses ordinaires de fonctionnement se sont élevées à 113 milliards de DH. Les dépenses d’investissement ont été de 23 milliards de DH. Il apparaît donc clairement un déficit de 34 milliards de DH, entièrement financé par l’endettement. La totalité des dépenses d’investissement et 13 milliards des dépenses de fonctionnement ont donc été financés par dette. De plus, les recettes de l’Etat sont en recul de 1% par rapport au S1 2012, et au vu de la situation économique, rien ne laisse présager un redressement des recettes fiscales à court terme.

Que l’Etat emprunte pour financer son déficit n’est pas nouveau, mais qu’il emprunte pour financer son fonctionnement, est très inquiétant, et signe d’une faillite de la gestion des finances publiques. Car jusque là, nous avons vécu dans un dogme de “emprunter pour investir ne peut être que bénéfique pour le pays”. Mais que dire alors du fait d’emprunter lourdement pour payer ses fonctionnaires ou subventionner les produits pétroliers?

Il y a un an, je publiais un article sur la possibilité d’un nouveau Plan d’Ajustement Structurel mené par le FMI au Maroc, suite à la Ligne de Précaution et de Facilité accordée par l’institution monétaire internationale. Les officiels avaient longtemps rassuré l’opinion publique en précisant que ce n’est en aucun cas une mise sous tutelle de l’économie marocaine. Qu’en est-il dans les faits? Des experts du FMI sont venus au Maroc à de nombreuses reprises pour auditer les comptes publics et analyser la situation économique. S’en sont suivis des rapports avec des “recommandations” (pour ne pas dire injonctions) au gouvernement marocain. Le risque de ne pas les appliquer? Se faire retirer cette fameuse ligne de précaution, et se voir sa notation financière dégradée par les agences de notation… Le FMI aurait déjà d’ailleurs menacé de le faire…

Par ailleurs, et au vu du creusement du déficit de la balance des paiements, le gouvernement n’a trouvé d’autres options que d’emprunter au maximum en devises (sur les marchés financiers, mais aussi auprès des banques de développement internationales), pour freiner l’érosion des réserves de change. Certes, cela aide à remonter la barre des 4 mois d’importations, mais entraîne  une explosion de charges d’intérêt (payables en devises…), en plus du remboursement du principal. Au final, une solution très court-termiste pour renflouer les caisse de l’Etat et alimenter les réserves de change, mais aux conséquences fâcheuses à moyen et court terme… L’autre solution était cette sorte de campagne de mendicité institutionnalisée auprès des états du Golfe, visant à collecter des dons financiers pour “aider le Maroc à traverser cette mauvaise passe”. A se demander si la contre-partie n’était pas une demande explicite des pays du Golfe au Maroc de ralentir drastiquement les réformes politiques, afin de ne pas créer un climat d’attente auprès de leur propre population.

La situation n’a donc fait que s’aggraver depuis un an, et à part des solutions court-termiste, rien n’a été fait pour contrer la descente aux abysses des finances publiques et du déficit de la balance des paiements. Et à voir l’absence de réactions de nos politiciens, très occupés à résoudre leurs querelles intestines, on se demande si on ne nous cache pas la découverte d’importants gisements de pétrole capables de tout faire changer d’une baguette magique…

Quel bilan pour le gouvernement Benkirane I?

Benkirane

Les dés semblent désormais jetés : le gouvernement Benkirane sous sa forme actuelle n’a plus que quelques semaines ou mois à vivre. Le stratagème du pion Chabat et de ceux qui le téléguident a toutes les chances de réussir. On se dirigera donc probablement vers une nouvelle coalition (mais laquelle?), ou vers des élections anticipées. La 2ème option semble avoir les faveurs de certains caciques du PJD, car l’issue ne fait aucun doute : le PJD les gagnera encore une fois haut la main. Mais ils semblent toutefois oublier, qu’au vu du système électoral actuel, le PJD n’a absolument aucune chance de remporter la majorité absolue au parlement, et sera donc obligé de se trouver de nouveaux alliés. Au risque de retomber dans la même situation dans quelques mois et de n’avoir que 2 choix : se soumettre au Makhzen, ou avoir suffisamment de courage pour claquer la porte, et mettre le système devant ses responsabilités.

Un an et demi donc après la formation du gouvernement Benkirane I, il est tout à fait légitime de dresser un premier bilan de ses actions dans différents domaines, surtout celles qui ont marqué (ou pas), la vie des marocains.

L’impression générale que laissent ces 18 mois du PJD au “pouvoir” (qui est bien entendu ailleurs), est cette “USFPisation” beaucoup plus rapide que prévu. Le chef de gouvernement n’a pas cherché la confrontation avec le Makhzen (tout comme l’USFP du gouvernement d’alternance de 1998), et s’est tout de suite montré très docile vis-à-vis des véritables détenteurs du pouvoir au Maroc. Preuve s’il en faut, le fameux communiqué du Chef de Gouvernement qui s’excuse platement auprès des conseillers royaux à la suite d’un article de journal qui cite Benkirane : « il n’y a aucun contact entre moi et les conseillers du roi ».

Mais est-il utile de rappeler que le gouvernement Benkirane s’était engagé sur des promesses et des réformes nécessaires pour redresser le pays : croissance économique, lutte contre la corruption, réformes de la caisse de compensation et des régimes de retraites… Qu’en est-il dans les faits?


“Le gouvernement Schindler”

A force de publier des listes, on n’en voit plus l’utilité. S’étant engagé sur beaucoup plus de transparence, le gouvernement Benkirane a excellé dans la publication de listes à n’en plus en finir. Ca aurait été utile si des réformes étaient engagées, sauf qu’il n’en a rien été. Des coups de com, rien de plus. En 18 mois, le gouvernement Benkirane a donc publié les listes de :

  • Détenteurs des agréments de transport en autocar. Aucune réforme de cette activité symbolisant par excellence l’économie de rente n’a été faite.
  • Détenteurs des agréments de carrières. Dont la plupart sont cachés derrière des sociétés. Là aussi, aucune réforme n’a été faite de cette activité rentière.
  • Associations bénéficiant d’aides provenant de l’étranger
  • Personnes occupant illégalement des logements du ministère de l’éducation nationale
  • Étudiants pensionnaires des cités universitaires
  • Fonctionnaires détachés auprès des syndicaux

Des listes à ne plus en finir. Une sorte de concurrence entre ministres démontrant leur volonté de transparence sans que cela ne se traduise pour guérir les maux structurels du pays. Des listes inutiles.


L’indomptable audiovisuel

Les joutes avec les dirigeants des chaines de télévision publiques (puisqu’il n’y a aucune TV privée au plus beau pays du monde) n’en finissent plus. La mémorable bataille pour l’application des cahiers de charge du ministre Khalfi, s’est soldée par une ridiculisation du gouvernement, incapable d’appliquer sa politique à un service public. Benkirane a de plus été incapable de changer une simple directrice dans une chaine nationale. Autant dire que la TV est, et restera une chasse gardée du Makhzen. Victoire majeure cependant de Khalfi : il a réussi à imposer l’adhan sur 2M. Ouf, l’honneur est sauf.


Libertés politiques et lutte contre la corruption

Le bilan est particulièrement catastrophique. L’espoir qu’a suscité le gouvernement Benkirane s’est vite estompé, surtout que le ministre de la justice et des libertés, était connu pour être un militant farouche pour la défense des droits de l’Homme. Il n’en a rien été. Des dizaines de militants du mouvement du 20 février ont subi la vengeance du Makhzen, et ont été condamnés pour la plupart à des délits de droit commun. La réaction du gouvernement? M. Benkirane a affirmé en direct sur TV5, qu’il n’existait aucun prisonnier politique au Maroc. Un magnifique doigt d’honneur à tous ceux qui ont cru que le PJD pouvait défendre les libertés politiques au Maroc. Quand on ne s’appelle pas Jamaa Mouatassim du PJD (libéré 2 jours après la première marche du 20 février 2011), on n’a pas le droit d’être défendu par ce parti, ni d’être traité comme prisonnier politique.

Autre point : la lutte contre la corruption. Slogan majeur de la campagne électorale du PJD, n’a pas fait long feu. Symbole de cette promesse non tenue, la poursuite en justice des braves fonctionnaires qui ont “fuité” les documents prouvant l’échange de primes entre l’ex-Ministre des Finances et le Trésorier Général du Royaume. Ils ont tous les deux été poursuivis pour divulgation de secret professionnel. Une manière de dire à tous les témoins de malversations de leurs administrations qu’ils risquent de subir le même sort devant la justice. Et qu’en est-il de Bensouda et Mezouar? Le procureur général de la Cour d’Appel à Rabat (dont le chef direct est Ramid, le ministre de la Justice) a classé sans suite l’affaire en prétextant un arrêt datant du protectorat… La lutte contre la corruption, ce n’est pas pour tout de suite.


Situation économique au bord du gouffre

20 ans après la sortie de la tutelle du FMI, le Maroc a redemandé l’aide de l’institution monétaire internationale en souscrivant à une ligne préventive de liquidité. Le FMI a désormais un droit de regard sur les finances publiques, et dicte les réformes au gouvernement. Une situation, pas loin de celle du “Plan d’Ajustement Structurel” qui a commencé en 1983 et duré une douzaine d’années. Et on y risque d’y revenir très prochainement si la réforme de la caisse de compensation et celle des retraites, ne sont pas réalisées à temps. Certes, le gouvernement précédent a laissé un lourd passif, en dégradant sensiblement les finances publiques pendant les quelques mois précédent son départ, mais celui de Benkirane a manqué terriblement de courage en retardant les réformes de compensation et de retraites.


Des points positifs?

Tout n’est pas noir : Benkirane a été ferme sur la généralisation des concours pour accéder à la fonction publique, et n’a pas (encore?) cédé aux diplomés chomeurs qui réclament d’être intégrés directement dans la fonction publique. Autre point pratique : on connaît désormais à l’avance les dates de passage à l’heure d’été et d’hiver chaque années. Le gouvernement de Abbas El Fassi nous l’annonçait souvent la veille. On ne remerciera jamais assez Benkirane pour ça…


Des alternatives?

L’échec cuisant du gouvernement de Benkirane sur ces 18 mois, démontre une chose : l’histoire est un éternel recommencement. Benkirane subit aujourd’hui ce qu’a subi El Youssoufi il y a 15 ans. Il a voulu pactiser avec le Makhzen, sans avoir de véritable pouvoir. Le leurre de la constitution de 2011 a marché. Il se contente aujourd’hui d’un gouvernement de gestion des affaires courantes, sans véritable pouvoir, et incapable de mener la moindre réforme structurante. Et il semble s’en contenter.

Quelle alternative? Chasser le gouvernement Benkirane et en ramener un autre PI, USFP, MP, ou même technocrate, ne résoudrait rien. Ca nous ferait perdre encore 10, 20 ou 50 ans de développement. La seule réforme pouvant sortir le Maroc de son marasme et de le ramener sur la voie de la démocratie : instaurer une monarchie parlementaire. Une vraie.

L’Etat aurait-il dû privatiser Maroc Telecom?

Ahizoune & Fourtou

Alors que Vivendi s’apprête à vendre ses parts de Maroc Telecom, achetées à l’État marocain une douzaine d’années auparavant, certaines voix s’élèvent ici et là pour demander à re-nationaliser ce mastodonte et s’interrogent sur le bilan de sa privatisation.

Il y a quelques jours, le patron de la centrale syndicale CDT a même explicitement demandé à l’État de racheter les parts de Vivendi, afin de renforcer la souveraineté nationale dans ce domaine stratégique. Si une telle éventualité est totalement exclue au vu de l’état catastrophique des finances publiques, il en est de même pour un acteur privé marocain. Aucune entreprise ou institution marocaine n’a aujourd’hui les moyens de mettre sur la table les 4 à 5 milliards d’euros demandés par Vivendi.

Si la nationalisation est donc totalement exclue, on peut légitimement se poser des questions sur le bilan de sa privatisation en 2001.

Est-ce que Maroc Telecom aurait pu atteindre son stade de développement actuel s’il était resté dans le giron des entreprises publiques?

La question est réellement délicate. Il est indéniable aujourd’hui que l’arrivée de Vivendi a contribué à moderniser la lourde machine qu’était cette entreprise issue de la scission de l’Office National des Postes et Télécommunications. Certes, à coup de licenciements et de programmes de départs volontaires, mais aussi grâce à une réorganisation et un pilotage plus orienté performance. Mais fallait-il attendre que Vivendi ramène ses cadres pour le faire? Le contre exemple de la transformation de l’OCP en quelques années prouve qu’une profonde transformation d’une entreprise étatique n’est pas impossible. En quelques années, la profonde restructuration menée par M. Terrab a permis de transformer ce vieil office qu’était l’OCP en une entreprise d’envergure internationale capable de concurrencer les plus grands.

L’argument qui revenait souvent au moment de la privatisation de Maroc Telecom est celui du transfert technologique. On a longtemps martelé que l’opérateur avait besoin d’un acteur international pour lui ouvrir les portes de l’expertise technique internationale. Qu’en est-il dans les faits? Il suffit de comparer les offres techniques et les moyens déployés chez les autres filiales de Vivendi (SFR en France et GVT au Brésil), pour se rendre compte qu’aucun transfert technologique n’a été opéré. Les équipementiers de télécommunications classiques (Nokia Siemens Network, Ericsson, Huawei…) passent des marchés directement avec l’opérateur sans aucune intervention de Vivendi. Seules quelques contrats d’assistance technique avec SFR (facturés au prix fort) sont en place et restent très limités par rapport aux contrats passés avec les équipementiers. Autre preuve : les 2 pôles techniques de l’opérateur sont dirigés par des marocains, alors que les pôles financiers et juridiques sont dirigés par des français. C’est dire l’importance qu’accorde Vivendi à ses flux financiers.

Qu’en est-il du prix encaissé par l’État en 2001 et 2005? Le meilleur moyen de l’évaluer après 12 ans de l’opération, est de calculer le taux de rentabilité interne (TRI) de l’actionnaire Vivendi. En retraçant les flux déboursés par Vivendi pour l’acquisition des 35% de Maroc Telecom en 2001, puis des 16% supplémentaires acquis en 2005, et en y ajoutant les dividendes obtenus durant ces 12 ans, en plus du prix de vente escompté par Vivendi (arrondi à 50 milliards de DH), on obtient un TRI actionnaire de 11%. Il n’inclut toutefois pas les contrats d’assistance technique (considérés parfois comme des dividendes cachés), ni l’effet d’achat groupé avec les autres filiales de Vivendi.Un tel niveau de TRI peut paraitre à première vue élevé, mais reste très raisonnable par rapport aux TRI généralement obtenus par des capital risqueurs. On peut donc légitimement dire que l’ex-ministre des finances Oualalou avait bien négocié le montant des deux chèques de Vivendi.

Vivendi Maroc Telecom(Cliquez pour agrandir)

Douze ans après sa privatisation, Maroc Telecom reste une machine à cash importante pour l’État. En 2011, on estimait à environ 10 milliards de DH les recettes de l’Etat à partir de Maroc Telecom (dividendes, IS, TVA, contribution obligatoire au fonds pour la recherche scientifique…). Le chiffre est certes appelé à baisser avec la baisse des résultats de l’opérateur, mais il continuera à constituer une part non négligeable dans les recettes annuelles de l’État.

Pour résumer, l’opération de privatisation de Maroc Telecom était à l’époque une bonne opération financière pour l’État, et continue de l’être grâce aux dividendes et impôts générés par l’opérateur. Si le développement en Afrique subsaharienne a été un choix judicieux pour s’assurer des relais de croissance, l’opérateur n’a néanmoins pas pu bénéficier pleinement des transferts technologiques qui auraient dû accompagner l’opération. Une dimension malheureusement toujours négligée dans de pareilles opérations, car on pense souvent à l’effet immédiat (cash), et on néglige l’effet à moyen et long terme des transferts technologiques et de savoir faire sur l’économie et la recherche dans le pays…

Sources :