Agit-on vraiment pour combattre la corruption au Maroc?

Parmi les revendications du mouvement du 20 février, la lutte contre la corruption au Maroc figure en bonne place. Le pays gangréné par la corruption à tous les niveaux, du plus haut fonctionnaire au chaouch de service, fait figure de cancre quand il s’agit de classements internationaux dans le domaine. Ainsi, il est passé du 52e rang en 2002 au 85e en 2010 dans l’Indice de Perception de la Corruption élaboré par Transaprency International. Preuve s’il en est besoin, que la multitude de commissions et d’instances mises en place par les différents gouvernements depuis une décennie n’ont servi à rien, ou pas grand chose… Le citoyen lambda ne perçoit aucun changement dans les pratiques, voire une situation qui empire.

Des mesures parfois très simples peuvent changer les choses. Une des premières causes de la corruption, et le manque d’information du citoyen. Pourquoi ne pas améliorer l’accès à l’information, expliquer les procédures administratives, clarifier aux citoyens leurs droits… Des portails Internet existent certes, mais la communication via des posters et des affiches dans les administrations est quasi-absente.

Autre point : la dénonciation. La loi marocaine actuelle ne protège pas les dénonciateurs de faits de corruption. Un dénonciateur peut facilement être considéré comme complice, et donc passible de poursuites judiciaires. L’Instance Centrale de Prévention de la Corruption (ICPC) n’a cessé de demander la protection légale des dénonciateurs. Aucune loi n’existe jusqu’aujourd’hui dans ce sens. Une petite expérience a néanmoins été lancée par l’ICPC , mais qui ne concerne aujourd’hui que les dénonciations “dans le cadre de marchés publics ou d’opérations d’investissement relatifs aux Petites et Moyennes Entreprises (PME)”. Sauf que l’ICPC ne jouit d’aucun pouvoir qui lui permet de saisir la justice en cas de dénonciation. Grosse lacune institutionnelle donc.

Ceci concernait la corruption “subie” par les citoyens. Qu’en est-il de la corruption “voulue”? Soudoyer un fonctionnaire pour fermer les yeux sur un plan de construction non conforme ou un policier/gendarme pour une infraction au code de la route reste très commun. Et là, il ne faut plus compter sur la dénonciation. C’est là que le contrôle judiciaire et administratif doit intervenir. Déclarations du patrimoine et inspections doivent être la règle dans un pays qui se veut démocratique et transparent. Mais c’est encore loin d’être le cas au Maroc. L’impunité reste la règle, même dans le cas de graves dysfonctionnements, comme ceux établis par la Cour des Comptes par exemple. Autre exemple : malgré l’obligation dans le nouveau code de la route du port d’un badge identifiant, on ne voit plus aucun agent de l’ordre (policier ou gendarme) porter son badge. N’est-ce pas un signe d’impunité ostentatoire?

Pourquoi nos gouvernants ne s’inspirent-ils pas d’autres pays qui ont eu quelques succès dans la lutte contre la corruption? En Inde par exemple, il existe un portail “I paid a bribe” qui collecte les plaintes des citoyens ayant été obligés de payer un pot de vin pour accéder à un service public. Lors d’un récent voyage en Tanzanie, j’ai pu voir ces pancartes un peu partout dans les lieux publics invitant à dénoncer les actes de corruption commis par les fonctionnaires publics :

Que perd-t-on à installer ce type de pancartes dans les arrondissements administratifs, les commissariats et les hôpitaux? Rien. Absolument rien. Combien de temps faudra-t-il pour instaurer une loi qui protège les dénonciateurs? On l’attend depuis au moins 10 ans. La loi anti-terrorisme a bien été approuvée en 10 jours, non? Que fait la justice pour poursuivre les corrompus parmi les hauts fonctionnaires de l’État? Est-elle trop occupée à juger les dénonciateurs des complices de trafiquants de drogue à Nador?

Quand on voit ce qu’on voit, que l’on entend ce qu’on entend et que l’on sait ce que qu’on sait, on a raison de penser ce qu’on pense. Que l’État n’a aucune envie de combattre la corruption, et que certains ont tout intérêt à que cela perdure…

9 thoughts to “Agit-on vraiment pour combattre la corruption au Maroc?”

  1. Faut d’abord une volonté politique forte qui émane des urnes ! Cela dit une partie inclusive d’un programme politique qui se veut vouloir changer les choses. Ma réponse est simple : On a des bonnes intentions mais pas suffisantes

  2. Bonne conclusion Omar! sans être défaitiste, c’est clairement une question de volonté gouvernementale et tant que cela sert le réseau impliquant des acteurs politiques, cela traînera encore. Pour enchaîner sur l’idée d’informer les citoyens, nous remarquons très bien le matraquage sur le nouveau code de la route. Actuellement il est même du ressort de l’état et sans grand frais/budget, de créer une chaîne tv dédiée rien qu’à cela, avec des vidéos qui restent consultables en ligne en tout temps et parlant des devoirs du citoyen et de ses droits.
    J’estime que bien de marocains sont incorruptibles, et ont eu la chance d’avoir grandi sainement (d’esprit) dans des conditions, parfois, très modestes. Pourquoi ne pas en créer une sorte de brigade INCOGNITO qui utilise les services publics comme tout le monde pour reporter, avec une certaine autorité judiciaire, l’absence ou les lenteurs volontaires des employées des moqata3as, les malversation de certains infirmiers/médecins/cliniques, de policiers de circulation abusant de leur pouvoir de “12 témoins”, et même les petits taxis qui sont devenus une vraie anarchie où le client est marchandise. Le pire c’est que nous continuons tjrs malgré nous de contribuer par nos impôts.
    Même si c’est ridiculement facile, ceci demande tout de même un management techniquement compétent et une vraie Ingénierie de gestion que nos ministres actuellement n’ont jamais été formés dessus. Il est révolu l’ère des parlementaires, c’est que la compétence et les résultats qui comptent… donc voici, sans prétention aucune, un bon point de départ pour leur recrutement 🙂

  3. Salut Omar,

    Ton article est intéressant. Son sujet l’est aussi. Je viens donc de le transférer au comite exécutif de l’ICPC. Cette commission est censée proposer des idées et les mettre en application, mais elle n’a clairement pas les moyens (ressources, cadre juridique) de ses ambitions. Par ailleurs, je pense que l’idée d’inclure Transparency international au sein de cette commission gouvernemental était une bêtise que mon illustre homonyme de premier ministre a calculé sous prétexte que Transparency pourrait être une caution de bonne volonté. Nous ne pouvons pas avoir une ONG internationale au sein même d’un organisme gouvernemental, cela s’appelle de l’ingérence.

  4. La formule célèbre de Robert Klitgaart s’écrit :
    Corruption = Monopole + Pouvoir discrétionnaire – la Transparence (C=M+P-T)
    Cette formule a eu beaucoup de succès et le mérite d’attirer l’attention sur ce qui permet et facilite le développement de la corruption. Elle semble également intéressante dans la compréhension de l’économie de la rente. Surtout si on ajoute à la formule l’absence ou la faible obligation de rendre compte, la désactivation des institutions de contrôle, l’impunité…qui caractérisent l’essentiel des économies dominées par la confusion des pouvoirs, les conflits d’intérêt et la rente. Si ces facteurs sont associés a la défaillance de la responsabilité, la formule
    s’écrirait : (C=M+P-T-R)

  5. principaux piliers du système national d’intégrité
    1. Des institutions, élues démocratiquement et dans la transparence
    2. Un gouvernement ouvert sur les autres acteurs de la société, responsable et comptable
    3. Des Instances de Contrôle Public indépendantes
    4. Un médiateur (Ombudsman) indépendant
    5. Une agence pour la lutte contre la corruption indépendante
    6. Une justice outillée et indépendante
    7. Des médias professionnels et libres
    8. Une société civile active et organisée
    9. Un secteur privé dynamique et responsable

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