Pendant des dizaines d’années au Maroc, le prix des hydrocarbures était subventionné ET réglementé au Maroc. L’État accordait une subvention aux hydrocarbures via la caisse de compensation. Il fixait en même temps le prix maximum à la pompe. Mais depuis 2013, le gouvernement Benkirane a progressivement levé cette subvention, pour l’annuler complètement début 2015. Dès lors, les hydrocarbures n’étaient plus subventionnés, mais leur prix maximum était toujours fixé par l’État, considérant que c’est une denrée sensible et essentielle à toute économie (tout comme les médicaments par exemple). Mais depuis décembre 2015, Benkirane décide la libéralisation totale de ces prix, laissant au marché le soin de les fixer. La concurrence devait donc jouer théoriquement son rôle pour faire baisser les prix et offrir au consommateur le meilleur rapport qualité prix.
Sauf que depuis cette date, il faut être dupe pour ne pas se rendre compte de l’augmentation sensible des prix des hydrocarbures à la pompe. Malgré la baisse du prix du baril en 2016, et surtout en 2017, les prix ne variaient que très peu à la baisse. Mais toute hausse du baril était systématiquement et rapidement répercutée sur les consommateurs. Ceci alimentait une forte suspicion d’entente sur les prix, pour permettre aux distributeurs d’hydrocarbures d’engranger un maximum de bénéfices possibles.
Le Conseil de la Concurrence en état de paralysie totale, faute de nomination de son Président et de ses membres, était (et est toujours) dans l’incapacité d’enquêter sur cette éventuelle entente, et d’infliger des amendes aux distributeurs de carburants si une entente sur les prix ou un abus de position dominante avait été constaté.
Le fait que Aziz Akhennouch (Afriquia, RNI), Mbarka Bouaida (Petrom, RNI) et Rkia Derham (Atlas Sahara, en quasi-duopole de distributeur de carburant dans les provinces du Sahara, USFP) soient membres du gouvernement actuel (et de celui de Benkirane pour les deux premiers) renforce cette suspicion de connivence entre l’exécutif et le secteur de distribution d’hydrocarbures.
Pour ne rien arranger aux choses, le rapport produit par la commission exploratoire parlementaire sur les prix des hydrocarbures exonère les distributeurs de toute responsabilité dans l’augmentation des prix, et considère que l’État est le plus grand gagnant dans la libéralisation des prix, et que les prix au Maroc sont parmi les plus bas de la région (!!). Une première version de ce rapport qui a fuité dans la presse, a au contraire incriminé les pétroliers d’avoir outrageusement augmenté leurs marges depuis la libéralisation des prix en décembre 2015.
Qu’en est-il vraiment?
A l’examen des comptes 2015 et publiés sur Inforisk ou par l’OMPIC, ainsi que sur le site de l’AMMC (en ce qui concerne Total Maroc cotée en bourse), l’analyse des marges est plus qu’édifiante.
Augmentation de la marge brute de 1,5 à 3,3 fois entre 2015 et 2016
La marge brute est la différence entre le prix d’achat des marchandises revendues et le prix de leur vente. Dans le cas des distributeurs d’hydrocarbures, il s’agit à plus de 95% de carburants. Le reste étant surtout des huiles de vidange et autres produits complémentaires vendus dans les stations services.
En analysant les comptes des 4 plus grands distributeurs du marché, totalisant une part de marché de 72%, la marge brute a progressé entre 2015 et 2016 (soit avant et après la libéralisation des prix) de 1,5 fois pour Afriquia à plus de 3,3 fois pour Total Maroc. (Les comptes 2015 de Petrom n’étaient pas disponibles).
Une marge nette jusqu’à 8% pour Total Maroc !
La marge nette est le rapport entre le résultat net (c’est-à-dire le gain après avoir soustrait toutes les charges d’achat et de fonctionnement) et le chiffre d’affaires des distributeurs. Les marges nettes ont tout simplement explosé après la libéralisation des prix en décembre 2015.
Des distributeurs comme Vivo Energy (Shell) qui ne faisaient qu’un petit 1,4% de marge nette, a multiplié sa marge par 4 pour atteindre 5,7%. De même pour Afriquia et Total Maroc.
Cette dernière, réalise par exemple pour le même chiffre d’affaires de 10,5 milliards de DH, un bénéfice de 800 millions de DH en 2016, contre “seulement” 400 millions de DH en 2015.
Le gain additionnel de ces sociétés en quelques mois est tout simplement phénoménal. En multipliant le volume écoulé sur le marché marocain par la marge supplémentaire engrangée par ces distributeurs, on arrive à un chiffre entre 15 et 17 milliards de DH en 30 mois de libéralisation des prix. Une partie de cette manne (20 à 30%) est allé dans les caisses de l’Etat sous forme d’impôt sur les sociétés, mais la majeure partie est allée renflouer les poches des actionnaires de ces sociétés, dont certains se retrouvent propulsés au premier rang des personnes les plus riches au Maroc.
Faut-il récupérer cet argent, indument prélevé des poches des marocains? Oui. Ces sociétés ont profité des connivences entre politiques et business pour passer des réformes en leur faveur, sans aucun contrôle de l’État. Comment le récupérer? En temps normal, le Conseil de la Concurrence aurait pu enquêter sur l’absence de concurrence entre ces sociétés et sur les prix très proches pratiqués par celle-ci. La loi permet d’infliger des amendes proportionnelles au chiffre d’affaires en cas d’infraction avérée. Le Conseil de la Concurrence étant hors service pour le moment, cet argent doit être récupéré via des taxes exceptionnelles, mais non rétroactive, puisque la loi l’interdit. Une innovation fiscale plus que nécessaire pour rétablir, ne serait-ce qu’un semblant de justice fiscale dans ce pays.
Merci pour ce billet Omar. Il se trouve que je viens checker votre blog, le jour de l’édition de cet article après une longue absence :).
A mon humble avis, le secteur des hydrocarbures n’est qu’un point parmi d’autres : je pense aux banques et aux assurances qui sont, de surcroît, obligatoires par loi et j’en passe… ceci dit, le consommateur marocain n’a pas non plus la maturité suffisante pour estimer ce qui est juste ou injuste pour sa majorité, du coup certains en profitent. On pourrait pour l’expérience, tenter l’hypothèse d’une augmentation du prix du pain (basé sur une farine blanche déconseillée pour la consommation) de 1.20 à 1.30 dhs, la réaction en serait vivement virulente, alors que ce même consommateur gaspille beaucoup plus en recharges téléphoniques sans se soucier de la pertinence du prix de cette recharge. Résultat, il faut bien s’occuper de ce consommateur et en attendant, l’éduquer. Quand bien même un Conseil de la concurrence serait mis en place, ceci ne garantit aucunement son impartialité. Une chose est sûre, le pays a besoin de protection.
Total a profité de ce grop loupé pour rentrer en bourse.
Bonjour,
Ceci vient enterrer l’idée farfelue de société citoyenne. Partant du principe que les pétroliers (on l’espère du moins) ne se sont pas mis autour d’une table pour fixer le prix, ce qui a été fait n’est pas illégal mais immoral. D’où encore une fois la nécessité de séparer, une fois pour toute, le business de la gestion des deniers publics. Ce sont deux visions différentes ou la première est tenue de réguler la seconde….
N’oublions pas au passage que ce qui est publié ou même l’enquête ne pose pas la ? De la fuite des marges. Ce qui alourdirait la facture …..
Bonne initiative pour le Blog. Keep going.
M. Jamai