TGV au Maroc : La gabegie continue. 65% d’augmentation du budget sans aucune explication

 

Importante mise au point : Plusieurs organes et agences de presse (AFP, Reuters…) ont rapporté que le coût total du TGV Tanger-Casablanca était de 33 milliards de DH. De son coté, la MAP avance un chiffre de 20 milliards pour toute la ligne TGV Tanger-Casablanca. Sur le site de l’ONCF, l’office précise que le coût les 20 milliards de DH ne concernent que le trançon Tanger – Kénitra, et que la mise à niveau du trançon Kénitra – Casablanca pour permettre la circulation du TGV sera financée par une partie du contrat programme avec l’Etat dont le montant global s’élève à 13 milliards de DH. Une information plus précise vient d’être rendue publique le 30 septembre dans la note d’information publiée par le CDVM accompagnant l’émission obligataire d’un montant de 1,5 milliards de l’ONCF. Cette note nous confirme (pages 132 à 134) que les 20 milliards ne concernent que le trançon Tanger – Kénitra. Elle précise également que les travaux de mise à niveau de la ligne de Kénitra – Casablanca devraient coûter 4,5 milliards de DH et que la mise à niveau des gares (sans préciser lesquelles) devrait coûter 730 millions de DH. On est donc en mesure aujourd’hui, de confirmer que la ligne TGV Tanger-Casablanca ne coutera pas 20 milliards de DH, mais un montant compris entre 20 et 25,2 milliards. La note d’informations du CDVM pouvant être considérée comme fiable, on peut aujourd’hui confirmer que le montant avancé par la MAP est sous-estimé, et que celui avancé par l’AFP et Reuters est surestimé. Je présente mes excuses aux lecteurs de ce blog qui ont pu être induits en erreur par le chiffre initialement avancé de 33 milliards de DH comme coût de la ligne TGV Tanger – Casablanca. Ceci dit, cette mise au point n’enlève rien à la pertinence du débat sur l’utilité même de ce projet.

 

Cette semaine devrait avoir lieu à Tanger la cérémonie de pose de la première pierre du projet de ligne à grande vitesse destinée à accueillir le TGV Tanger-Casablanca. Ce projet lancé à la surprise générale en octobre 2007 lors de la visite de Nicolas Sarkozy au Maroc, continue de susciter beaucoup de débat concernant son utilité, mais aussi sur son coût exorbitant.

Le coût du projet avancé jusque là était de 20 milliards de DH, soit un peu moins de 2 milliards d’euros. Et au début de ce mois-ci, une autre surprise attendait le contribuable marocain : le coût prévisionnel du projet n’est plus de 20 milliards, mais bien de 33 milliards de DH (~3 milliards d’euros) ! Oui , vous avez bien lu, une augmentation de 13 milliards de DH (plus d’un milliard d’euros), soit 65% d’augmentation, sans qu’aucune explication ne soit fournie!

Comment se fait-il qu’un montant aussi exorbitant soit resté prisonnier des tiroirs administratifs, et qu’aucune information n’ait filtré dessus, jusqu’au moment du lancement effectif par les deux chefs d’états. Comment se fait-il qu’aucune discussion n’ait eu lieu au parlement, censé représenter le peuple marocain, dans un projet aussi exorbitant et engageant pour les finances de l’Etat marocain? La nouvelle constitution tant vantée par le Makhzen ne permet-elle pas un contrôle accru des représentants du peuple sur les finances publiques?

Ne soyons pas naïfs. Il existe une catégorie de projets sur lesquels les parlementaires et les ministres n’ont aucun droit de regard. Des projets tombés d’en haut. Exécutez, trouvez du financement, et venez présenter sur un tapis rouge. De préférence devant beaucoup de caméras. Quid des règles de base de gouvernance économique, des études d’utilité, de rentabilité et d’impact socio-économique, de l’état des finances publiques? Quelle hérésie!

Pour ce manque de transparence, le Maroc s’est vu infligé un sérieux revers en novembre 2010 devant une grande institution financière. La Banque Européenne d’Investissement a rejeté une demande de prêt du Maroc d’un montant de 400 millions d’euros destinés à financer le projet de TGV. Motif? Le contrat concernant les rames TGV n’a fait objet d’aucun appel d’offres, et été octroyé de gré à gré à Alstom. L’Allemagne n’a pas du tout apprécié, et aurait souhaité que d’autres constructeurs (Siemens par exemple) participent à un appel d’offres. Face à ce trou de financement, le Maroc a été obligé de “solliciter” les monarchies du Golfe pour des “dons” visant à boucler le financement de ce gargantuesque projet.

Une question se pose avec insistance. Les finances publiques marocaines connaissent de sérieuses difficultés, de l’aveu même de notre porte parole national préféré. Un déficit budgétaire de 6% est à prévoir pour fin 2011. Et avec le nouveau ralentissement de l’économie mondiale et la crise de la dette européenne, les choses ne devraient pas s’améliorer de sitôt.

Pourquoi ne pas prendre exemple sur l’Argentine, pays pourtant beaucoup plus riche que le Maroc? Le pays avait prévu de construire une ligne de 750 Km entre Buenos Aires et Cordoba pour un coût de 1,35 milliards de dollars, soit un coût 6 fois inférieur à celui du TGV Tanger-Casablanca (3 milliards d’euros pour 350 Km)! Malgré ce coût relativement raisonnable, le pays a suspendu le projet face à des problèmes de financement et de rationnement des dépenses de l’Etat.

Au Maroc, de tels projets sont très rarement remis en cause, peu importe l’état des finances publiques, et du vrai impact de ces projets sur la vie des marocains. On les mets devant le fait accompli, et en cas de déboires, le contribuable marocain passe à la caisse.

Mais revenons 100 ans en arrière. Rappelez vous de la première décennie du XXe siècle. Un certain sultan My Abdelaziz, fan de gadgets venus d’Europe avait fait installer un train dans son palais de Fès (cf “Morocco That Was“, Walter B. Harris, 1921). Ses caprices ont fait l’affaire des marchands européens qui n’hésitaient pas à lui dénicher les gadgets les plus originaux et le lui revendaient au prix le plus fort. Les caisses de l’Etat furent rapidement vidées et les puissances européennes ne pouvaient que s’en réjouir. Quelques années plus tard, le traité de protectorat franco-espagnol fut signé.

Quand on voit l’humiliation que subit aujourd’hui le peuple grec face à sa crise de dette, la déroute où l’ont mené des politiciens sans scrupules, et aux pressions sans fin de ses créanciers, on espère juste que l’histoire ne soit pas un éternel recommencement pour le Maroc…

Articles de presse parlant du budget initial de 20 milliards en 2010 :

 

Quelques liens :

12 mesures pour restaurer la confiance des marocains dans les élections

Moins de trois mois nous séparent de la date à priori fixée pour les élections législatives anticipées, prévues le 25 novembre 2011. Le ministère de l’intérieur a tout fait pour avancer le plus rapidement possible la date de ces élections. Beaucoup pensent que c’est une manière pour le Makhzen de mettre fin aux manifestations hebdomadaires du mouvement du 20 février. D’autres pensent que c’est surtout pour empêcher les partis “sérieux” de se préparer à des élections cruciales.

La plus grosse question à se poser, à mon avis, reste la mobilisation des électeurs. Comment éviter le fiasco de 2007 où seulement 37% des électeurs inscrits se sont déplacés pour voter, avec 19% de votes nuls (pas de différence entre bulletins blancs et nuls au Maroc…) soit 1 million de votes?

Il existe une réelle fracture au Maroc entre politiciens et citoyens. D’un coté, la concentration des pouvoirs aux mains du roi, encore présente dans la “nouvelle” constitution, laisse penser que le gouvernement n’est qu’un simple exécutant de la politique royale. Pourquoi donc aller voter pour un parlement, si la majorité n’applique pas le programme pour lequel elle a été élue? Le débat sur cette question est long et complexe dans le cas du Maroc. Et la nouvelle constitution, n’aura pas arrangé grand chose à mon avis.

Deuxième cause de cette fracture, est la perte de confiance dans l’élite politique du pays. Le citoyen assiste impuissant à une sorte de cirque incessant, entre le premier ministre qui nomme sa famille au sein de postes clés dans le pays,  les parlementaires impliqués jusqu’au cou dans des affaires pénales mais continuent de bénéficier de l’immunité parlementaire, en passant par l’incompréhensible immunité de certains ministres impliqués dans différentes affaires . Le cas de Moncef Belkhayat est éloquent : achat d’une Audi A8 à 1,2 millions de DH par son ministère, affaire Bull, attribution des marchés d’architecture des centres sociaux à une proche….

Troisième cause de désintérêt pourrait être le sentiment que les élections ne sont pas si transparentes que cela. Certaines pratiques ont peut-être disparu (bourrage d’urnes…), mais d’autres ont la vie dure : achat de voix, découpage électoral biaisé, soutien des agents de l’autorité (chioukhs et mqadems)…

Comment redonner aux marocains confiance dans le système politique qui les gouverne? Ce serait très ambitieux de changer des mentalités et des attitudes qui ont eu la vie dure pendant des décennies en quelques mois, mais je pense personnellement que certaines mesures pourraient redonner aux marocains confiance dans leur système électoral, et à travers lui, la classe politique qui va en émerger.

Voici une liste de 12 mesures non exhaustives capables à mon avis de restaurer, au moins partiellement, cette confiance :

1- Organisation des élections par une instance indépendante : A ma connaissance très peu de partis politiques réclament des élections organisées par une instance indépendante du Ministère de l’Intérieur (MI). Le passif de celui-ci en matière de fraudes électorales est très lourd : utilisation des chioukh et mqadems qui sont sous tutelle du ministère, utilisation des moyens très importants du MI dont ils disposent pour faire pencher le camp d’un candidat ou un autre (renseignements généraux, DST entre autres…), sans parler d’un savoir faire hors du commun en matière d'”ingénierie électorale” capable de façonner les majorités. Comment garantir la neutralité de l’Intérieur dans le scrutin? Garantir au scrutin une transparence et une indépendance totale, reviendrait à en accorder l’organisation à une instance indépendante et permanente en charge uniquement de l’organisation des élections. Énormément de pays en disposent, et les bons exemples desquels on peut s’inspirer ne manquent pas.

2- Découpage électoral fait sur des critères objectifs : Tous les acteurs politiques marocains s’accordent sur l’adage “Laisse moi établir un découpage, et je te sors une majorité”. Dans les vraies démocraties, c’est la parlement qui décide du découpage électoral, et non le Ministère de l’Intérieur qui peut ajuster à sa guise les circonscriptions électorales. Comment? En accentuant les inégalités en matière de représentation des circonscriptions rurales par rapport aux urbaines, les premières étant réputées conservatrices. On peut également intégrer des quartiers huppés à des quartiers défavorisés de manière à avantager un parti ou un autre. Pour s’en rendre compte, il suffit de jeter un coup d’œil aux résultats des élections législatives de 2007. Le classement des partis par siège ne correspond pas à celui des voix. Le PJD était clairement premier par le nombre de voix, mais a été devancé par l’Istiqlal en nombre de sièges. L’influence, on le verra, du mode de scrutin est aussi présente dans cette anomalie. En règle générale, le découpage doit se faire sur des critères objectifs, avec des circonscriptions à des populations sensiblement égales, de tailles réduites (pour faciliter le travail des élus), avec des règles géographiques logiques. Le sujet et très vaste et beaucoup de lectures sont nécessaires pour le maitriser.

3- Instaurer l’obligation de vote : Sans doute, la mesure la plus difficile à appliquer. Pourquoi obliger des citoyens libres à voter dans un pays démocratique? La question fait débat, mais ce qui m’intéresse dans la question est son coté pratique. Obliger tous les électeurs d’une circonscription à voter empêche les achats de voix massifs que peuvent opérer certains candidats. Aucun ne pourra corrompre toute une circonscription. Cela revient à réduire, voire anéantir, l’effet d’achat des voix. Comment appliquer cette obligation? Ce n’est pas une question simple, mais on pourrait penser à un système d’amendes pécuniaires ou de privation de délivrance de documents administratifs pendant une certaine période si l’électeur ne vote pas. Là aussi, il faudrait prendre exemple sur des pays qui l’ont déjà fait : Brésil, Turquie, Belgique… Quid de ceux qui s’abstiennent par choix? Ils n’ont qu’à voter blanc!

4- Retour au scrutin uninominal : L’actuel mode de scrutin par liste (ou proportionnel multinominal à plus fort reste) a eu pour principal effet, l’éloignement de élus de leurs circonscriptions. Celles-ci sont devenues beaucoup plus grandes, et certaines ont jusqu’à 4 représentants. Comment est-ce que cet élu pourra être proche de son électorat? La notion d'”élu du quartier” a disparu, et beaucoup d’électeurs sont tout simplement incapables de citer le nom de leur(s) représentant(s) au parlement. Comment voulez-vous donc les motiver voter?  Autre problème que pose ce mode de scrutin : l’émiettement du champ politique. Et c’est sans doute issu d’une volonté réelle du Makhzen. Il est logiquement impossible à un parti aujourd’hui d’avoir une majorité absolue au parlement vu le mode de scrutin par liste. La règle du plus fort reste complique encore plus les choses en accordant autant de sièges à des partis qui peuvent avoir un nombre de voix très différents (voir exemple dans cet article). Là encore, le paradoxe des élections de 2007, où le parti qui a eu le plus grand nombre de voix n’était pas le gagnant des élections. Revenir à un scrutin uninominal me parait une bonne solution pour ces problèmes.

5- Vote avec Carte Nationale d’Identité : Une des plus importantes revendications des partis politiques. Les CNI étant un moyen d’identification sûr et pratique, ce serait un gage important de transparence dans les élections. Les électeurs n’auront plus à se déplacer pour avoir leurs cartes d’électeurs, qui sont de plus, facilement falsifiables. Elles garantissent un vote unique et sécurisé.

6- Inscription automatique sur listes électorales : Un des fléaux de la “démocratie marocaine” reste le faible taux d’inscription aux listes électorales. Sur un potentiel de 20 millions de marocains en âge de voter, seuls 13 millions sont inscrits. Renseignez vous dans votre entourage, et vous vous apercevrez qu’énormément de personnes ne sont pas sur des listes électorales, et donc incapables de voter le jour J. Les raisons sont diverses et variées : manque de temps, ignorance, négligence… L’État dispose de suffisamment de moyens pour identifier les personnes en âge de voter (plus de 18 ans), notamment via les registres de la CNI. De la même manière, les décédés doivent être automatiquement retirés de ces listes. Un simple calcul ((taux de participation x nombre d’inscrits) – votes blancs) permet de ressortir que moins de 4 millions de personnes ont choisi les représentants de 30 millions de marocains en 2007. Absurde, non?

7- Vote sans enveloppe : Mesure pouvant paraitre illogique, mais efficace pour lutter contre les achats de voix. Les candidats véreux s’employaient ces dernières années à corrompre les électeurs, non pas en s’assurant qu’ils ont bien voté pour eux (i.e. cocher une case dans une feuille unique), mais en s’assurant qu’ils n’ont voté pour personne! Le seul moyen de s’en assurer, était de ramener la feuille de vote au candidat. L’électeur n’aura donc mis qu’une enveloppe vide. Pour que cette mesure soit efficace, il faudra s’assurer que les feuilles de vote sont infalsifiables, et clairement identifiables lors de la mise en urne (tampon, symbole spécial…). Le problème des téléphones portables qui prennent des photos dans l’isoloir restera néanmoins posé…

8- Tout candidat doit avoir un baccalauréat au minimum : Comment autoriser un élu de la nation à siéger au parlement, légiférer, sans avoir un niveau minimal d’éducation? Il me semble qu’avoir le baccalauréat en 2011 pour un député est le minimum syndical…

9- Audit fiscal des entreprises possédées par les candidats : Beaucoup de candidats sont intéressés par l’immunité parlementaire plus qu’autre chose… La nouvelle constitution a interdit d’utiliser l’immunité parlementaire à des fins autres que politiques, mais on ne sait pas encore comment cela va être décliné dans la réalité. Soumettre les entreprises possédées par les candidats à un audit fiscal me parait comme une mesure nécessaire. Cela garantirait au moins que le candidat n’utilisera pas son immunité pour échapper au fisc.

10- Casier judiciaire vierge pour tout candidat : Me parait comme mesure élémentaire. Un candidat doit avoir prouvé son intégrité et sa probité par le passé. Les peines dues à des activités politiques ou syndicales, ou ayant lien avec la liberté d’expression, sont bien sur à bannir de ces conditions.

11- Publier le code source du logiciel qui gère les élections : Cela peut paraitre farfelu, mais personne ne sait comment fonctionne ce fameux logiciel central utilisé par le ministère de l’intérieur pour calculer et collecter les résultats des élections. C’est une vieille revendication de M. Mohamed Zanane, qui donnerait un gage de transparence de plus.

12- Interdire à Abdelouahad Radi de se représenter : Député de la région du Gharb depuis 1963, soit bien avant l’arrivée de Kadhafi au pouvoir en Libye, M. Radi a battu tous les records de longévité parlementaire. Il est temps pour lui de laisser sa place aux jeunes et de se trouver une autre activité à plein temps. L’agriculture par exemple?

Appliquer une bonne partie de ces mesures me parait un minimum pour restaurer la confiance des marocains dans leur système électoral et politique. La précipitation du Ministère de l’Intérieur dans l’organisation des élections législatives n’augure rien de bon. Les mêmes pratiques produiront forcément les mêmes résultats, quelques soient les beaux discours. Et nous nous retrouveront encore face à cette même “élite politique”, stérile, corrompue et incapable de diriger le pays et de le sauver du sous-développement dans lequel il baigne…