Compensation : l’Etat ne subventionne plus les carburants

Il fallait s’y attendre : l’agonisant gouvernement Benkirane a finalement décidé de revenir à l’indexation des prix à la pompe des carburants, mesure en vigueur  1995 et 1999. Et encore une fois, le gouvernement Benkirane a choisi la solution de la facilité pour réformer la caisse de compensation.

Après les augmentations des prix à la pompe de juin 2012, et au lieu de mettre en place des mesures viables à long terme et bénéfiques pour les plus démunis, le (presque) gouvernement ne trouve rien de mieux que d’augmenter à nouveau le prix à la pompe.

Où sont les promesses de mise en place d’aides directes, promises par le ministre Boulif en juin 2013? Où sont les mesures permettant aux professionnel du transport de récupérer la subvention directement via des mesures fiscales, en utilisant le mécanisme du gasoil professionnel? Où est le débat global promis par M. Boulif sur la réforme de la compensation, véritable chantier prioritaire pour le Maroc, nécessaire pour sauver les finances publiques. Rien de cela n’a été fait, et il semble que rien ne presse pour un gouvernement préoccupé par sa survie plus qu’autre chose…

Mais revenons à la subvention du diesel et de l’essence. Un communiqué du gouvernement annonce aujourd’hui que l’État continue tout de même à subventionner à hauteur de 0,8 dhs/litre le super carburant, et à 2,6 dhs/litre pour le gasoil. Qu’en est-il réellement?

La fiscalité sur les carburants est composée de deux taxes : la Taxe Intérieure de Consommation (TIC), qui est fixée à 242,2 DH/hectolitre de diesel et à 376,4 DH/hectolitre de super carburant, ainsi que la TVA dont le taux est de 10% sur le prix de vente (contre 7% avant 2010).

Un simple calcul suffit à démontrer, qu’au contraire, c’est bien le consommateur final qui contribue au budget de l’État à hauteur de 0,7 DH/litre de diesel acheté et de 4,24 DH/litre d’essence.

 

Décomposition_prix_carburant_092013

NB : Le prix de vente indiqué est celui de la sortie de la rafinnerie de la Samir. Les prix de transport sont en sus, en fonction de l’éloignement de Mohammédia.

 

Il est temps d’en finir avec les discours “pompeux” M. le ministre 🙂

 

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Comment l’Iran a reformé sa caisse de compensation

Quand on lit les déclarations des responsables marocains sur la réforme de la Caisse de Compensation, on se demande parfois s’ils ont pris le soin de voir comment d’autres pays ont pu réformer des caisses comparables dans le monde. Les exemples les plus connus restent le Brésil (programme Bolsa Familia [1] [2] [3]), l’Indonésie ou le Mexique (avec le fameux programme “Oportunidades“). Mais il y a un exemple qui a récemment fait parler de lui, et a même reçu les compliments du Fonds Monétaire International. Celui de l’Iran.

Contrairement aux programme brésilien ou mexicain, qui consistent en des transferts ciblés de la subvention à des populations pauvres, contre l’obligation d’alphabétisation et d’accès aux soins, le programme iranien a adopté une approche différente: des transferts directs, mais non ciblés. Tous les iraniens qui le souhaitent, peuvent recevoir une subvention du gouvernement, sans aucune condition de revenus. Chaque membre d’une famille s’est vu occtroyer l’équivalent de 40 dollars américains par mois (plafonnée à 6 membres), sur une simple inscription administrative, et sans aucune condition de revenu maximal. Au total, près de 80% des iraniens se sont inscrits pour recevoir cette aide.

La caisse de compensation iranienne avait atteint la taille phénoménale de 60 à 100 milliards de dollars (soit un ordre de grandeur proche du budget de l’Etat marocain), vu que les iraniens payaient jusqu’au moment de la réforme leur essence à 2 cents américains le litre! Cela engendrait, comme au Maroc d’ailleurs, des comportements économiquement irrationnels. On connait tous l’exemple de ces entreprises ou individus qui utilisent des bonbonnes de gaz (fortement subventionnées) pour des installations industrielles ou les fabricants des boissons gazeuses qui utilisent le sucre subventionné pour leurs produits qui ne devraient pas l’être.

Au lendemain de la réforme iranienne, les prix des matières subventionnées ont bondi pour certains de 400 à 2000%! Mais le choc a été très bien amorti, vu l’intense campagne de communication menée par le gouvernement. Mais bien avant la suppression de la subvention, les iraniens avaient déjà reçu la subvention mensuelle sur leurs comptes bancaires. Et pour faire d’une pierre deux coups, les transferts d’argent ont justement obligé des millions d’iraniens d’ouvrir des comptes bancaires, améliorant très sensiblement le taux de bancarisation dans le pays, et donc les ressources pour le financement de l’économie. Le revers de la médaille? Une inflation qui atteint des sommets : 10% en 2010. Mais difficile de dire si cette inflation ne résulte plutôt pas des sanctions économiques contre l’Iran.

Est-ce qu’une telle mesure pourrait être appliquée au Maroc? Faisons un calcul simple : si l’Etat venait à distribuer 400 DH par mois par personne, et en supposant que 80% des marocains s’inscriraient volontairement au programme, on arriverait à un montant de 115 milliards de DH, soit plus que le double de ce qu’a consommé la caisse de compensation au Maroc. Une subvention de 100 DH par personne ferait passer ce montant à 29 milliards de DH, ce qui est déjà sensiblement inférieur aux 52 milliards enregistrés en 2011. La mise en place des mécanismes d’aide conditionnée au Maroc pourraient se relever beaucoup plus difficiles que prévues. Les problèmes de corruption et de détournement des subventions ne tarderaient pas à survenir si un tel programme avait à être mis en place. De plus, l’argent bénéficierait directement aux familles, et rationaliserait l’usage des denrées subventionnées.

La réforme radicale de ce gouffre financier devient plus urgente que jamais. La taille de la caisse n’a jamais été aussi importante, et pourrait bien exploser cette année, si jamais ces mêmes iraniens venaient à être bombardés par Israël…

 

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Caisse de compensation : le gouffre sans fin

Un gouffre sans fin et un moyen d’acheter la paix sociale. Voila ce qu’est la caisse de compensation au Maroc. Depuis plusieurs années, on vit la même histoire. Les prix des matières premières explosent sur les marchés internationaux, le budget alloué initialement à la caisse n’est plus suffisant, et l’état est obligé d’accorder une rallonge pour pouvoir rembourser les arriérés. Souvent à coup d’endettement interne. La situation n’est guère différente en 2010. Le budget initialement alloué était de 14 milliards de DH, et une rallonge d’au moins 10 milliards sera nécessaire pour boucler l’année.

Le budget de la caisse a connu une évolution soutenue durant les 10 dernières années, avec un pic en 2008, année de flambée de toutes les matières premières sur les marchés internationaux. Les pouvoirs publics souhaiteraient maintenir le budget de la caisse à un niveau de 3% du PIB. Mais cet objectif parait difficile à atteindre vu le niveau des prix des matières premières et leur augmentation prévue en 2011.

Budget Caisse Compensation Maroc
On parle depuis plusieurs années d’une réforme radicale de la caisse de compensation. Ce n’est un secret pour personne, au lieu de jouer son rôle de filet social et d’aider les plus pauvres, les subventions profitent surtout aux 4×4 des riches. Exemple ultime d’aberrations : l’Etat subventionne le sucre contenu dans les boissons gazeuses! L’Etat reconnait bien le problème et l’expose bien à travers certaines études. Petit tableau résumant deux études du HCP et du Ministère des Affaires Générales.

subventions caisse compensation
Mais comment fait-on ailleurs? Le Maroc n’est pas le seul à être confronté à cette problématique. Les expériences indonésiennes et mexicaines sont reconnues comme réussies par la Banque Mondiale. L’Indonésie a établi 10 critères permettant d’identifier les populations éligibles aux aides directes de l’état. Ces familles bénéficient d’une aide financière (envoyée mensuellement par poste), les aidant à préserver leur pouvoir d’achat après la suppression des subventions. Dans le cas mexicain, elles ont bénéficié à 5 millions de familles et sont conditionnées à la présence à l’école de tous les enfants, et à des visites médicales régulières. D’une pierre deux coups : baisser les niveaux de la pauvreté, et l’amélioration de l’accès à l’enseignement et aux services de santé. On peut facilement imaginer un système similaire au Maroc, à condition que le recensement soit fait de manière transparente et juste (en gros, éloigner les qaid et les moqaddem du processus…).

La décision est plus politique qu’autre chose. Quel gouvernement aura le courage de réformer ce système, au risque de déclencher une grosse instabilité sociale? Les gouvernements des 30 dernières années sont tous hantés par le spectre des émeutes de juin 1981, déclenchées suite à l’augmentation du prix du pain et réprimés dans le sang par le régime, faisant des centaines de morts.

Courage Abbas (et son poulain Nizar)! De toute les manières, les élections de 2012 sont déjà promises au PAM. Quitte à faire au moins une bonne action pour le Maroc au cours de votre quinquennat!

Pour une approche plus scientifique du sujet, vous pouvez vous reporter à l’étude de M. Khalid Soudi.