Rapport du Nouveau Modèle de Développement : un coup d’épé dans l’eau?

J’ai lu (quasiment toutes) les 170 pages du rapport de la Commission du Nouveau Modèle de Développement. Très joli rapport comme prévu (au vu de la qualité des membres), mais malheureusement avec beaucoup de wishful thinking.

Le diagnostic n’a rien de nouveau et terrifiant en même temps. Il reprend ce qui a été dit pendant ces 10-15 dernières années sur les problèmes du Maroc. La Fondation Abderrahim Bouabid avait par exemple sorti un rapport en 2010 sur les problèmes entravant le développement du Maroc, et les rédacteurs étaient traités de nihilistes rétrogrades incapables de voir tous les progrès faits par le Maroc. Si on se base sur ce diagnostic fait par le rapport du CSMD, on devrait virer TOUS les responsables sur les 20 dernières années et ne plus jamais les rappeler. Or, c’est exactement le contraire qui se passe. A chaque vague de nominations, un jeu de chaises musicales se met en place, n’épargnant que les plus âgés, fatigués et usés après des décennies de service.

Les remèdes proposés sont nombreux et détaillés dans une annexe à part (pour les plus téméraires). Certains sont déjà en cours d’application (comme la couverture sociale généralisée), d’autres sont en contradiction avec ce qui se fait en ce moment même.

Quelques exemples :

– Le rapport (p. 77) insiste sur l’importance d’avoir des médias autonomes (et donc indépendants). Or, une concentration des TV publiques (SNRT, 2M et Medi1TV) est en cours dans un seul et unique pôle publique, dans ce qui risque de devenir une Pyongyang TV. Nous sommes en 2021, et il n’y a toujours aucune TV privée au Maroc (à part Chada TV qui diffuse des clips à la Rotana).

– Le rapport (p. 153) recommande “le renouvellement régulier de la haute fonction publique nationale et locale est un défi auquel il convient d’accorder la plus haute importance à travers des mécanismes de renforcement de son attractivité, d’identification et de sélection d’un vivier de compétences, de valorisation de leadership pour leur permettre de prendre des initiatives pour la résolution de problèmes complexes, sans crainte de sanction, et de valorisation de l’expérience dans les territoires”. C’est justement le contraire qui s’est passé ces dernières années. Les récentes colères successives ont dissuadé les hauts fonctionnaires honnêtes et innovants de postuler à des responsabilités plus élevées. Pourquoi? Plus ils montent en grade, plus le risque de subir une colère inexpliquée et arbitraire augmente. Résultat, des postes importants peuvent rester vacants pendant des années (SG du ministère des finances par exemple, avant qu’il ne soit occupé par M. Chorfi, et à nouveau libre, après son départ à la retraite).

– “Le renforcement des libertés individuelles et publiques et leur protection par le système judiciaire sont une condition nécessaire à la création d’un climat de confiance et à la libération des énergies.” (p. 74). C’est tout le contraire qui se passe chez les journalistes libres. Les arrestations n’en finissent pas, et les derniers cas devant nous sont ceux de Omar Radi, et Soulaimane Raissouni, en grève de la faim depuis 49 jours, et en très sérieux danger de mort.

Alors oui, il y a des propositions qui me plaisent bien, comme celle de déléguer certains services publics à des entreprises sociales (p. 101). On pourrait confier la collecte des déchets recyclables à des coopératives de chifonniers, la gestion d’une crêche à une association, l’exploitation de terrains en friche à des coopératives agricoles…

D’autres objectifs sont tout aussi nobles (et ils sont très nombreux dans le rapport), mais les rapports précédents (Cosef 2000, Cinquentenaire 2005), étaient tout aussi explicites sur beaucoup d’autres objectifs, sans succès malheureusement.

Le rapport occulte (évidemment) le noeud du problème du Maroc : son système politique. Aucune réforme profonde n’est possible au Maroc sans réforme du système politique et l’instauration d’une véritable monarchie parlementaire, avec une réelle reddition des comptes et une indépendance des pouvoirs.

Le rapport s’étale par exemple beaucoup sur les conflits d’intérêts et de la nécessité que les institutions constitutionnelles fassent leur travail. On a tous suivi le feuilleton du conseil de la concurrence vs. le lobby des pétroliers. Ils s’en sont sortis indemnes.

Ou alors comment expliquer qu’un président de région et le maire d’une ville, soient condamnés en appel à de la prison ferme pour détournement de fonds publics, mais continuent à exercer leurs fonctions comme si de rien n’était (le recours en cassation n’est pas suspensif de la peine de prison).

Le problème n’est donc pas l’existence d’institutions constitutionnelles, mais leur réelle indépendance dans leur prise de décision.

Autre exemple : le rapport insiste beaucoup sur la régionalisation avancée qui doit s’appuier très largement sur les walis et non sur les conseils élus (dépourvus de moyens et de prérogatives). Comment qualifie-t-on un système où un wali intervient à la place d’un élu, même pour choisir l’espèce d’arbres à planter sur un trottoir?

Le rapport appelle également à abolir la rente sous toutes ses formes. Pourquoi voulez vous que le système politique l’abolisse alors qu’il en vit depuis des siècles? C’est le meilleur moyen de fidéliser un cercle restreint servant de bouclier à toute épreuve.

Pour résumer : il s’agit d’un rapport avec un diagnostic connu, des remèdes sympathiques, mais souvent homéopathiques. Et un sort tout tracé, à l’image du Rapport du Cinquantenaire : consommation médiatique intense pendant quelques jours et application sélective des recommendations, en fonction des intérêts du moment.

Et rendez-vous au prochain rapport. Inchallah.