Politique fiction : Ces années Benkirane…

Tout le monde l’attendait. Le gouvernement Benkirane a fini par voir le jour, après de longues tractations avec les partis et le  palais. Ce dernier refusait de voir certaines personnes aux commandes des ministères les plus sensibles, et a apporté son lot de retouches avant la validation finale de l’équipe Benkirane. Le vote de confiance se passe sans encombres au Parlement. Le chef de gouvernement, qui sait que les attentes des marocains vis-à-vis de son gouvernement sont immenses, annonce une cinquantaine de mesures urgentes à concrétiser durant les 100 premiers jours de son mandat. Ils incluent, entre autres, l’annulation des agréments (transport, carrières, pêche…), l’ouverture d’enquêtes judiciaires dans tous les dossiers soulevés dans les derniers rapports de la Cour des Comptes, la création d’un fonds de solidarité alimenté par de nouvelles taxes sur les banques, assurances et opérateurs de télécommunications, le lancement de la réforme de la caisse de compensation…

La réponse ne tarde pas à arriver. Une grève générale des transports paralyse le pays, et les détenteurs d’agréments réclament le retrait immédiat des réformes. 100 jours après, le bilan est très mitigé. Benkirane demande un peu d’indulgence, vu que la grande majorité des ministres sont des novices et que l’administration marocaine est très lente dans le traitement de ces dossiers. D’autant plus qu’une bonne partie des lois requises pour ces actions, est bloquée au Secrétariat Général du Gouvernement, tenu, rappelons le, par un ministre nommé par le palais…

La conjoncture internationale n’est pas non plus en faveur du gouvernement. La crise économique européenne est à son apogée. Les exportations marocaines sont au plus bas, le déficit de la balance commerciale explose, les transferts des MRE se tassent. Les touristes, européens pour la plupart, visitent de moins en moins le Maroc, préférant épargner pour les temps difficiles à venir en Europe. Face à ces indicateurs au rouge, Benkirane se retrouve avec une marge de manœuvre de plus en plus réduite dans la réalisation des réformes économiques qu’il avait promises. Au bout d’un an au pouvoir, les langues de certains ministres se délient, et dénoncent les instructions incessantes qu’ils reçoivent du cabinet royal. Dans l’impossibilité de refuser quoi que ce soit, ils se contentent d’exécuter des actions tout à fait contraires au programme gouvernemental.

La terrible sécheresse de l’année 2013 n’arrange pas les choses. Un niveau de pluviométrie excessivement bas entraîne un très faible volume de récoltes. Le désespoir est grand dans les campagnes. Des milliers de villageois s’installent dans les périphéries urbaines, espérant trouver du travail dans les villes. Sur les marchés internationaux, les prix des matières premières explosent. Les importations de pétrole sont à leur plus haut niveau historique, et le Maroc est obligé d’importer la quasi-totalité de ses besoins en céréales. La Caisse de compensation, qui n’a été que partiellement réformée, ne peut plus supporter tout le fardeau de la variation des prix. Le gouvernement décide de répercuter une bonne partie de la variation sur les marocains. La réponse ne tarde pas. Des quartiers entiers de Casablanca, ainsi que des habitants de Benguerir et de Sidi Ifni sortent dans des manifestations massives contre la vie chère. Des bâtiments administratifs sont brûlés, et les forces de l’ordre sont débordées, et utilisent les gaz lacrymogènes à profusion. A Benguerir, on compte 5 morts asphyxiés par ces gaz. La situation est explosive. Des émeutes se répandent à d’autres villes. Comprenant que l’heure est grave, Benkirane intervient à la télévision, et annonce l’annulation des augmentations sur les produits de base. Mais il est également obligé d’annoncer un programme de rigueur sans précédent, et l’arrêt de certains grands chantiers. Celui du TGV, lancé 2 ans auparavant s’arrête au stade du remblayage. Benkirane opère également un changement à son équipe. De nouvelles têtes rejoignent le gouvernement, en espérant lui donner un nouveau souffle. Les manifestations s’arrêtent. La gestion de la rigueur peut commencer.

Entre temps, des dossiers de corruption de hauts fonctionnaires éclatent dans la presse. Benkirane ordonne un rapide examen des dossiers, mais la lenteur de la machine judiciaire ne l’aide pas… Une autre affaire ne passe pas inaperçue. Addoha et la SNI se seraient vu céder des terrains du domaine de l’Etat en plein centre ville de Casablanca à des prix dérisoires. L’affaire ne passe pas, et le doyen des parlementaires marocains, Abdelouahed (Mac Leod) Radi interpelle violemment le chef du gouvernement. L’affaire fait grand bruit, mais Benkirane ne cède pas, et affirme que la transaction s’est passée dans le plus strict respect des règles de cession des terrains publics. En réalité, tout le monde sait qu’il n’y peut pas grand chose, vu que la transaction a été “commandée” au plus haut niveau de l’Etat. Les marocains prennent soudain conscience que les espoirs suscités par Benkirane étaient exagérés, que la marge de manœuvre accordée par la Constitution de 2011 et par le makhzen au chef de gouvernement est réduite. Le vrai pouvoir se trouve ailleurs.

A l’occasion du 3ème anniversaire du mouvement du 20 février, des manifestations géantes, jamais vues depuis l’indépendance du Maroc, arpentent les villes marocaines. 1 million de manifestants selon la police, 2 millions selon les organisateurs. Le succès est franc. Les manifestants réclament une assemblée constituante, une transparence complète sur les affaires qui ont éclaboussé le mandat de Benkirane et la chute du Makhzen. Le chef de gouvernement se réfugie dans le mutisme. Contrairement aux manifestations de 2011, les manifestants du mouvement du 20 février s’installent dans les plus grandes places des villes marocaines. Place des Nations Unies à Casablanca, Place Bab El Had à Rabat, Bab Doukkala à Marrakech… Des comités locaux dans toutes les villes marocaines  relaient le mouvement. La vague s’annonce nettement plus imposante et mieux organisée que 2011. Le mouvement semble avoir appris de ses erreurs.

Sur ordre du Haut Conseil de Sécurité, organe créé par la Constitution de 2011, et dont le contrôle échappe complètement au Chef de Gouvernement, les sit-in de protestations sont violemment dispersés. Les tirs à balles réelles fusent. Bilan : 78 morts. Les condamnations internationales se succèdent, et tout le pays s’embrase.  Jamais depuis le début des années 90, le pouvoir n’avait osé tirer à balles réelles sur des marocains. Le choc est profond. Des manifestations reprennent de plus belles, et des morts continuent de tomber. On entend désormais, ici et là, des slogans qui réclament la chute du régime, et non plus de simples réformes constitutionnelles.

Benkirane présente sa démission avec fracas. Il a compris, tardivement, que sa marge de manœuvre était extrêmement réduite. Après les années du PJD au pouvoir, le Makhzen ne trouve plus de fusibles aptes à jouer de la figuration pendant quelques années de plus. Aucune autre alternative ne devient crédible aux yeux des marocains…

Le pays sombre dans le chaos…

Volontairement alarmiste et pessimiste pour l’avenir du Maroc, ce petit exercice n’a pour but que d’exprimer mes craintes, partagées par beaucoup, sur l’évolution des choses au Maroc. Les “réformes” entreprises jusque là ne semblent avoir qu’un seul but : s’acheter du temps, et s’épargner encore quelques mois de calme et de prospérité. Si de véritables réformes, dont certaines bien douloureuses, ne sont pas entreprises, le pays risque malheureusement le pire pour les années à venir.

Marocains, le Makhzen vous emmerde

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les marocains ont vécu des moments historiques ces 2 dernières semaines.

Tout d’abord, la victoire écrasante du PJD aux élections. Malgré toutes les critiques que l’ont puisse émettre envers le processus électoral, il semble que la volonté des marocains a été globalement respectée. La victoire du PJD aurait été encore plus écrasante si le mode de scrutin et le découpage avaient été plus équitables. Mais ce ne sera que partie remise pour les échéances à venir. Le combat sur ces points essentiels doit continuer. Les marocains n’ont tout de même pas oublié de remarquer la débandade du PAM et de son cheval de Troie makhzanéen RNI. Toutes leurs gesticulations ces derniers mois ont été vaines et inutiles. Le G8 ressemble plus aujourd’hui à un “G Rien”…

Le deuxième évènement, reste la nomination de Abdelilah Benkirane comme Chef de Gouvernement. Alors que beaucoup s’attendaient à ce que Saadeddine Othmani, ex-dirigeant du PJD soit nommé à la tête du gouvernement, notamment pour ses qualités de diplomatie et de conciliation avec le Makhzen, Benkirane s’est imposé comme un choix incontournable. On aurait quand même bien pu rigoler en ayant un psychiatre comme Othmani à la tête du gouvernement d’un pays réputé pour sa schizophrénie chronique 🙂 Mais avec les tractations que mène Benkirane, on se dirige, semble-t-il, vers un gouvernement formé par la PJD, l’Istiqlol, le Mouvement Populaire et le PPS. Des islamistes qui siègent au même gouvernement que des ex-communistes. On aura tout vu au Blad Schizo!

Après une semaine d’euphorie, où les attentes des marocains vis-à-vis du prochain gouvernement PJD restent énormes, le Makhzen n’a pas manqué de réagir. Non pas une, ni deux, mais trois claques ont été distribuées en moins de 48h.

Tout d’abord, la nomination de 28 ambassadeurs. Il s’agit d’un acte strictement encadré par la Constitution adoptée en juillet dernier. La loi suprême du pays stipule très clairement dans son article 49 :

“Le Conseil des ministres délibère … de la nomination sur proposition du Chef du Gouvernement et à l’initiative du ministre concerné, aux emplois civils… d’ambassadeur…”

L’article 55 stipule quant à lui :

“Le Roi accrédite les ambassadeurs auprès des puissances étrangères et des organismes internationaux.”

En reconstituant le processus, on obtient donc :

Le Chef de Gouvernement propose les ambassadeurs (à l’initiative du ministre des affaires étrangères), le Conseil des ministres (présidé par le roi) en délibère puis le roi accrédite ces ambassadeurs.

Or, en consultant les comptes rendus des conseils des ministres, publiés par le Secrétariat Général du Gouvernement, on s’aperçoit que la nomination des ambassadeurs n’a été approuvée dans aucun de ces conseils.

De par la même constitution, Abbas El Fassi, est toujours Chef de Gouvernement, jusqu’à ce que Abdelilah Benkirane obtienne le vote de confiance du Parlement.

En omettant l’étape de délibération par le Conseil des ministres, on s’aperçoit que le processus constitutionnel de nomination des ambassadeurs a été clairement violé.

En est-on à la première violation de la nouvelle constitution? Il semble que non. Plusieurs constitutionnalistes, dont le Pr. Abdelkader Bayna, éminent professeur de Droit Constitutionnel à Rabat avaient souligné que les élections du 25 novembre ne pouvaient être tenues qu’après dissolution de l’ancien parlement. Ce qui n’a jamais été fait!

Que faire quand un citoyen estime que la constitution de son pays a été violée? Il devrait se diriger vers la Cour Constitutionnelle, censée être le protecteur ultime de la loi suprême. Mais quand on sait que le roi nomme son président et la moitié de ses membres (directement et indirectement), on connait d’avance la réponse à toute saisine de ce type…

Deuxième claque de la semaine, la nomination de Yasser Zenagui, actuel ministre RNI du tourisme au sein de cabinet royal. Beaucoup diront qu’une nomination au sein du cabinet royal relève du périmètre exclusif du roi, mais quand on connait la puissance de celui-ci au sein des institutions marocaines, on ne peut s’empêcher de rester dubitatif devant une telle nomination. Comment peut-on admettre qu’un ministre d’un gouvernement sortant, appartenant à un parti sévèrement sanctionné par les marocains aux élections, puisse accéder à des fonctions au sein d’une institution connue pour être le vrai gouvernement d’ombre au Maroc? Sans citer les allégations sur les conflits d’intérêt incestueux de M. Zenagui qui détient un gros fonds d’investissement touristique (Sienna Investment Group) tout en étant ministre du tourisme…

La troisième claque (de quasi-KO) nous est venue de la nomination de Fouad Ali El Himma comme conseiller au cabinet royal. Nous voici devant un personnage dont les marocains réclament la chute depuis une dizaine de mois, qui a fondé un parti qui s’est pris une sévère défaite aux dernières élections, et qui de plus, est haï et détesté par le PJD, parti vainqueur des élections. Benkirane qui n’a cessé de traiter El Himma de tous les noms, le comparant à Oufkir et Basri, ou en appelant le roi à l’écarter. Le pauvre chef de gouvernement désigné s’est finalement résigné à appeler son pire adversaire pour le féliciter.

Nous voila donc devant 3 claques affligées aux marocains. Votez pour la constitution que vous voulez (aussi critiquable soit-elle), votez pour le parti que vous voulez, manifestez autant que vous voulez, le makhzen fera ce qu’il veut, et s’entourera de qui il veut.

Marocains, il ne vous reste que Dieu à implorer, et vos yeux pour pleurer.

الله يلطف بهاد البلاد أو صافي