Qu’attend la classe moyenne marocaine de l’Etat?

Famille marocaine (Par Olivier Blaise)
Famille marocaine (Par Olivier Blaise)

Alors que s’élabore en catimini la réforme de la Caisse de Compensation (la plus importante depuis plusieurs années, faut-il le rappeler), sans aucun débat public ou approche participative, il semble certain aujourd’hui que le gouvernement se dirige vers une aide directe aux plus nécessiteux. Si les modalités exactes ne sont pas encore définies, des questions commencent à surgir ici et là sur le sort de la classe moyenne, qui ne profiterait plus des subventions de la Caisse de Compensation, et se retrouverait exposée à la “réalité des prix”, alors qu’elle a de plus en plus mal à joindre les 2 bouts, et vit de plus en plus sur le fil du rasoir.

Comment d’abord définir cette classe moyenne? Ce débat interminable au Maroc , a abouti à plusieurs définitions, dont la plus contestée est celle du Haut Commissariat au Plan. Il a défini en 2009 la classe moyenne comme tout foyer ayant un revenu mensuel situé entre 2800 et 6763 DH. Une définition purement statistique, qui prend en compte la distribution des revenus au Maroc, et situe la classe moyenne entre 0,75x et 2,5x la médiane des revenus. Et comme le dit M. Lahlimi, Haut Commissaire au Plan, “Dans un pays pauvre, la classe moyenne est normalement pauvre. Et c’est le cas du Maroc”. Si cette définition de la classe moyenne peut être relativement acceptée dans le milieu rural, ou dans de petites villes, il est inconcevable aujourd’hui de classer un foyer de Casablanca ou Rabat ayant un revenu mensuel de 2800 comme un foyer de classe moyenne.

D’autres efforts pour définir cette classe moyenne ont été fournis par divers chercheurs et universitaires. Le plus abouti, à mon sens, semble être celui de la revue Economia (éditée par le CESEM) en  2009. L’étude part de définitions statistiques et non-statistiques pour cerner cette classe moyenne qui semble échapper à une définition universelle, et se base sur le principe que cette classe “devrait se suffire à elle même pour vivre (et non pour survivre)”.

A l’issue de cette étude, 4 catégories de classes moyennes ont été établis, et les grands postes de dépense d’un foyer décortiqués. Pour chacun de ces postes, une fourchette hausse et basse ont été définis. Si la somme de ces postes ne correspond pas au revenus du foyer, c’est parce qu’on estime que ces foyers font des arbitrages entre ces catégories, et choisissent de consommer moins ou plus selon leur revenu et leur souhait d’avoir ou non de l’épargne. (Les chiffres de cette étude datant de 2009, il conviendrait de les ajuster par rapport à l’inflation depuis cette date là).

Classe Moyenne D

Classe Moyenne C

Classe Moyenne B

Classe Moyenne A

Partant de ces chiffres, peut-on cerner les attentes de cette classe moyenne vis-à-vis de l’Etat? Peut-on dire que cette classe sera affectée par la libéralisation des prix des produits actuellement subventionnés par la Caisse de Compensation (farine, sucre, carburant de voiture et gaz butane)?

Si le montant réservé à l’alimentation reste à peu près le même, quelque soit la variation des revenus du foyer, on remarque que le gros des dépenses est ailleurs : logement, transport, habillement, eau, électricité, télécoms, santé et éducation. L’impact de la réforme de la Caisse de Compensation devrait donc à priori être réduit si la farine et le sucre devaient être augmentés. Cela est par contre un peu plus sensible pour le gaz butane (rappelons que le vrai prix de la grande bonbonne est de 120 DH au lieu des 40 DH actuels), et pour le carburant de voiture sur lequel compte une bonne partie de cette classe moyenne pour se déplacer.

L’Etat devra-t-il inclure la classe moyenne dans son programme de distribution directe des subventions? Pas sûr que ce soit son rôle… La classe moyenne a surtout besoin de services publics à la hauteur de ces attentes, qui allègeraient le fardeau de ses dépenses, alors même qu’elle est un gros contributeur fiscal à travers l’Impôt sur le Revenu et la TVA payée sur à peu près tous ses achats.

Il suffit de jeter un coup d’œil aux postes de l’éducation et de la santé. Il est devenu rare de nos jours de voir un couple de fonctionnaires (de classe moyenne donc), envoyer leurs enfants dans une école publique. Quelques soient le niveau de leurs revenus, ils en sacrifient une bonne partie pour assurer à leurs enfants une éducation adéquate, au lieu de sacrifier leur avenir dans une école publique arrivée à un état catastrophique. Et ne parlons même pas d’hôpitaux publics. Mis à part quelques rares spécialités, il est aujourd’hui automatique pour un foyer de classe moyenne de se diriger vers des cliniques ou des médecins privés pour se soigner, même s’ils ne font pas partie des 18% de travailleurs chanceux qui disposent d’une couverture maladie…

Et que dire du transport? Faute de transports publics fiables, cette classe moyenne est quasi-obligée de disposer d’une voiture (voire de deux…) pour se rendre à son travail et conduire ses enfants à l’école (privée). Cela aurait-il le cas si nos villes disposaient de réseaux de transport public fiables, confortables et ponctuels? Pas sûr. Il suffit de voir les récents succès des tramways de Rabat et de Casablanca pour se rendre compte des attentes immenses de la population vis-à-vis des transports publics.

Et que dire du logement? Si l’État s’est longtemps focalisé sur la promotion du logement social, l’intérêt pour le logement de la classe moyenne est tout nouveau avec les récents avantages fiscaux accordés aux promoteurs immobiliers. Certains d’entre eux ont déjà annoncé qu’ils n’étaient pas intéressés par des carottes fiscales jugées trop faibles, et préfèrent rester focalisés sur le logement social, aux avantages fiscaux nettement plus intéressants pour ces requins promoteurs. La classe moyenne restera donc, jusqu’à nouvel ordre, prisonnière de spéculateurs immobiliers, sans qu’elle ne trouve d’offre adéquate, essentiellement en termes de budget.

Si l’État ne devrait pas venir en aide à cette classe moyenne en lui octroyant des aides pécuniaires directes, il devrait au moins se rendre utile en lui assurant des services publics dignes de ce nom, essentiellement dans les domaines de l’éducation, de la santé et des transports publics, tout en mettant en place des conditions adéquates pour lui permettre d’accéder à un logement répondant à ses aspirations.

Si l’idée de tout demander à l’État est à exclure, faut-il pour autant renoncer à demander des services publics de qualité, ne serait-ce qu’en contre-partie des innombrables impôts payés à l’État par cette classe moyenne?

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8 thoughts to “Qu’attend la classe moyenne marocaine de l’Etat?”

  1. Le souhait de voir les services publics améliorés est génèral
    et impacte la vie quotidienne de toutes les couches sociales
    marocaines.

    Merci pour les graphes et dommage que le souci de l’écologie
    et du combat contre la pollution ne soient pas considérés.

  2. Omar,
    Bonne analyse des attentes de la classe moyenne qui sera certainement parmi les grands perdants, à court terme en tout cas, de toute réforme du système de compensation.

    Voici tout de même quelques remarques à ce sujet:
    1. D’abord, il faudrait ne pas oublier que le premier et plus grand perdant de la réforme sera la classe pauvre. Tout système d’aide directe aura des défauts et cette aide ne va pas compenser complètement ce qui sera perdu avec la réforme;

    2. La classe moyenne est celle qui sera touchée en second et c’est ce qui risque d’affecter grandement la demande et avoir des répercussions très négatives sur la croissance économique. En fait, cette catégorie de citoyens perdra sur toute la ligne parce qu’elle perdra la subvention des produits sans aucune autre forme de compensation, même partielle;

    3. Une question à ne pas négliger relativement à la réforme de la caisse de compensation est celle de savoir si cette réforme va se traduire par plus ou moins d’inégalités sociales et surtout d’exposition à l’inflation des produits les plus couramment utilisés. L’une des vertus de la subvention est que, contrairement à ce qu’on peut bien dire, celle-ci profite davantage aux pauvres, puis à la classe moyenne et enfin aux plus riches;

    4. La réforme du système de compensation se fera en plusieurs étapes et pourrait se prolonger sur une décennie ou plus. C’est qu’il faudrait prendre en considération l’état actuel des économies nationale et régionale, des troubles sociaux un peu partout et surtout l’effet sur les prix de tous les produits. Plusieurs industries et services (alimentaire, restauration, transport, touristique, BTP …) seront touchés par des hausses de prix et vont les répercuter sur leurs tarifs;

    5. Les effets de la réforme du système compensation ne seront connus qu’a posteriori. Ils dépendront d’abord de la manière dont cette réforme sera conduite, mais aussi des mesures d’accompagnement et de la restructuration de certains secteurs afin d’éviter que cette réforme ne donne des effets pervers;

    6. Il serait bien de faire une analyse comparable pour les plus pauvres. La question la plus importante pour cette catégorie est celle de savoir comment les aides directes seront-elles distribuées? Qui va en bénéficier (père, mère …)?

  3. un très bon article qui divulgue des problèmes sociaux que souffre la classe moyenne ( tout en oubliant la classe pauvre), je pense que dans votre article vous n’avez pas aborder à une analyse économique et critique car ces problèmes ont des causes économiques très complexes et liés à un monde ouvert qui souffre encore de la crise économique, donc il n’y a pas une recette magique que l’Etat va faire pour résoudre ces problèmes, ça prend de déccenie pour améliorer la situation du Maroc.
    Merci

  4. Je reviens (parce que assid et fidéle à ce blog) mais
    je me permets cette fois-ci d’apporter des critiques,
    qui j’espère objectives, envers le com 2 :

    1- “Tout système d’aide directe aura des défauts et cette aide ne va pas compenser complètement ce qui sera perdu avec la réforme

    Une flagrante antinomie dans l’expression car tout simplement
    l’aide directe est sensée remplacer le profit vis à vis de la caisse
    de la compensation (pour cette classe précise, j’entends)
    et puis si défaut il y a au niveau de l”aide directe, cela sera
    au niveau de la fraude, de la triche, des copains et coquins d’où
    un strict controle avant l’octroi de l’aide s’impose. Maintenant, le vrai
    souci est le niveau de l’aide directe et sa répecrcussion sur la vie
    de tous les jours, je veux dire sur l’éventuelle cherté de la vie
    galopante car qui dit libéralisation des prix dit aussi inflation…

    3- un vrai pléonasme dans le sens où le bis répétita des raisons
    de l’existence de cette caisse au niveau à quel elle sert en premier
    est devenu “rébarbatif” : oui, tout le monde sait que la caisse
    de compensation profite en premier à la classe pauvre puis à la classe
    moyenne “endettée” (j’insiste sur le qualificatif “endettée”) mais la
    classe de nantis et privilégiés en profite sans oublier que la classe
    moyenne “non endettée” est elle meme une classe privilégiée…

    4- l’évidence elle memme si ce n’est un rappel et il est le bienvenu…

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