L’ultralibéralisme économique : cette facette méconnue du PJD

Benkirane - WEF
Benkirane au World Economic Forum de Davos

Il existe une facette chez le PJD, qui est assez méconnue, et rarement mise en avant dans le discours populaire de ses dirigeants. Elle se manifeste souvent à travers des actions, des décisions ou des prises de position rapportées de réunions à huis clos.
L’ultralibéralisme du PJD, puisque c’est de cela que l’on parle, s’est dernièrement manifesté lors d’une récente sortie du Chef de Gouvernement, Abdelilah Benkirane, pendant une cérémonie de la Banque Africaine de Développement. Il déclare [1] [2] [3]: “Il est temps que l’État lève le pied sur certains secteurs, comme la santé et l’éducation” et que “le rôle de l’État doit se limiter à assister les opérateurs privés qui veulent s’engager sur ces secteurs”.

Est-ce une boutade? Une déclaration incontrôlée? Cela ne semble pas le cas, au vu des réalisations de l’actuel gouvernement dans différents domaines.

L’éducation : le privé en sauveur

On assiste depuis 2 à 3 ans à une explosion du nombre d’université et facultés privées, dans un contexte de faillite totale de l’éducation publique. La libéralisation des études en médecins avec l’ouverture de deux facultés de médecine privées à Casablanca et Rabat (et aucune ouverture de nouvelle faculté publique de médecine), plusieurs écoles d’ingénieurs privées marocaines et étrangères (et aucune nouvelle école d’ingénieurs publique), plusieurs universités et campus privés multidisciplinaires (et aucune nouvelle université publique)… L’État semble se résigner à construire des amphithéâtres à la va-vite pour remédier au surpeuplement des universités publiques, mais manque de  stratégie à court, moyen et long terme pour faire face aux profonds changements démographiques devant (ou plutôt ont déjà commencé à) faire exploser le nombre d’étudiants dans les cycles supérieurs de l’enseignement. L’autre revirement constaté depuis quelques mois, est la reconnaissance par l’État de certaines universités privées, ligne rouge qu’aucun gouvernement depuis l’indépendance du Maroc n’a osé franchir! Sans oublier le souhait, que n’a jamais caché le ministre de tutelle, M. Daoudi, de rendre les universités publiques payantes. Mesure qu’il n’a jamais pu appliquer face au tollé général.

Au niveau de l’enseignement primaire, même l’ONU s’inquiète dans un récent rapport du poids excessif que prend l’enseignement privé dans l’enseignement primaire. Au rythme de croissance de l’enseignement privé au Maroc, 97% des élèves du primaires devraient être inscrits dans des écoles privées d’ici 25 ans.

L’éducation publique ne joue/jouera plus son rôle d’ascenseur social, et l’accès à une éducation de qualité sera réservé à ceux qui pourront se la payer. Une forme de reproduction des élites sera alors en cours.

Santé : “marchandisation” des soins en cours

Le secteur de la santé s’apprête à connaître un chamboulement majeur avec l’ouverture du capital des cliniques à des investisseurs privés, alors que l’ouverture de celles-ci était strictement réservée aux médecins. Un pas de plus vers la “marchandisation” du secteur, en le rendant régi par les dures lois de rentabilité financière, sans beaucoup d’égard au caractère très particulier du secteur.

Pendant ce temps, les hôpitaux publics souffrent d’énormes manques de moyens, de problèmes de disponibilité du personnel médical, souvent très occupé à servir dans les cliniques privées, qui seront encore plus nombreuses avec la nouvelle loi. La classe moyenne se rue, malgré ses moyens limités vers les cliniques pour le moindre petit souci de santé, alors qu’elle est censée recevoir un service public de qualité, ne serait-ce qu’en contre partie des lourds impôts qu’elle paye. Quand aux plus démunis, ils n’ont d’autres choix que de se résigner d’aller aux hôpitaux publics, ô combien insalubres, pour tenter de se faire soigner et d’en sortir vivants.

Infrastructures : l’État se désengage de plus en plus

Après la libéralisation de la production de l’électricité, qui profite largement au holding royal SNI, via sa filiale Nareva (parcs éoliens, station électrique géante de production via charbon “propre” à Safi…), une décision passée largement inaperçue concerne un des secteurs les plus vitaux pour le Maroc : l’eau. Ou plus précisément, la production hydroélectrique. Sur décision du ministre PJD de l’Énergie et des Mines, M. Abdelkader Amara, des groupes privés pourront désormais construire leurs propres barrages pour produire de l’électricité, revendue ensuite à l’ONEE. Ainsi, il reviendra aux investisseurs privés de choisir le site qui leur convient (et qui offre donc la meilleure rentabilité financière possible), et d’y construire un barrage, et de “lâcher” les eaux, au gré des désirs et des souhaits de ces investisseurs. Alors que c’est à l’État que revenait jusque là, cette mission de construction des barrages et de contrôle de leurs niveaux d’eau. Ne se rend-on pas compte que nous sommes en train de confier ce qui est notre ressource naturelle la plus précieuse à des entreprises pour lesquelles seule la rentabilité financière importe? Le groupe Brookstone Partners qui se dit américain, s’apprête d’ailleurs à construire 3 barrages pour se lancer dans la production électrique. Qui les contrôlera?

Un discours de moralisation de la vie politique, mais économiquement ultralibéral dans les faits

On a vu ainsi que depuis 3 ans, le gouvernement PJD ne cesse de lancer un discours moralisateur de la vie publique (largement inefficace, mais là, c’est une autre histoire), alors que économiquement, le parti se positionne sur un registre ultralibéral, qui limite le rôle de l’État à un facilitateur de business (comme le décrit M. Benkirane).

Et le service public dans tout cela? Pourquoi les marocains payent-ils leurs impôts? Est-ce uniquement pour que l’État exerce ses pouvoirs régaliens (sécurité, justice, monnaie) ? Ce n’est pas en tout cas l’attente des marocains qui croulent sous le fardeau de la pauvreté et des inégalités profondes.

Les marocains attendent de recevoir un service public de qualité, en termes d’éducation, de santé, d’infrastructures… La classe moyenne ne demande pas forcément des revenus supplémentaires, mais plutôt des services publics qui lui permettront d’alléger ses finances alourdies année après année par les charges toujours plus exorbitantes de logement, d’énergie, de transport… et auxquelles il faut rajouter les charges liées à l’éducation de leurs enfants et des frais de santé, qui sont censés être fournis gratuitement par l’État. N’est-ce pas une contrepartie juste pour les impôts toujours plus lourds qu’ils payent?

Votez Fédération de la Gauche Démocratique !

Le gouvernement ne doit plus organiser les élections

Elections Maroc

Les élections au Maroc ont, depuis l’indépendance, constitué une occasion tant attendue par le Makhzen pour instaurer son image de système démocratique, où les choix du citoyens semblent être respectés avec un processus électoral bien huilé, et aboutissant à des institutions démocratiquement élues.

Si les méthodes de bourrage d’urnes semblent être dépassées pour “orienter” le résultat des élections, d’autres méthodes plus subtiles et plus complexes sont venues prendre le relais pour renforcer l’hégémonie du Makhzen sur le système électoral. Toutes ces méthodes peuvent être réunies dans ce qu’on peut appeler “l’ingénierie électorale”. Elle se manifeste dans le choix du mode de scrutin (uninominal/liste, 1 tour/2 tours…), dans le découpage électoral, dans l’élaboration des listes électorales, dans le déroulement matériel du scrutin…

Mis à part le choix du mode de scrutin qui passe par la voie législative (on doit être le seul pays au Monde à voter une nouvelle loi électorale à la veille de chaque élection…), tous ces aspects sont aujourd’hui gérés exclusivement par le Ministère de l’Intérieur tout puissant. Or, force de reconnaitre que ce ministère n’a pas un passif très reluisant en matière de gestion des élections depuis l’indépendance : utilisation massive des chioukh et mqadems qui sont sous tutelle du ministère pour favoriser tel ou tel candidat, utilisation des moyens très importants du ministère pour faire pencher le camp d’un candidat ou un autre (renseignements généraux et DST entre autres…), gestion du processus de la mise à jour des listes électorales de bout en bout…. Comment garantir la neutralité de l’Intérieur dans le scrutin? C’est tout simplement impossible. M. Benkirane, qui semble s’enorguillir de sa “supervision politique” des prochaines élections locales, nous prend certainement pour des abrutis.

Le seul et unique moyen de garantir la neutralité du gouvernement et du ministère de l’intérieur dans l’organisation des élections, est de confier la gestion de l’ensemble du processus électoral à une instance indépendante de l’exécutif. L’Istiqlal et l’USFP menacent aujourd’hui de ne pas participer aux prochains scrutins s’ils ne sont pas organisés par une instance indépendante. Mais on a tout de même beaucoup de mal à les croire. Il s’agit d’une revendication qu’ils formulent depuis 1997. Ce qui ne les a pas empêché de participer à tous les scrutins depuis.

Un des points revendiqués par beaucoup de partis politiques marocains, est celui de la refonte des listes électorales, établies en 1994 sous la houlette d’un certain Driss Basri, et mises à jour des dizaines de fois, sans qu’elles ne soient complètement assainies. Elles ne comptent aujourd’hui que 13 millions d’inscrits, alors que le nombre de marocains de plus de 18 ans et éligibles au vote avoisine le double! D’où l’appel de beaucoup à adopter les bases de données de la Carte Nationale d’Identité comme base d’inscription aux listes électorales. Mais le Ministère de l’Intérieur s’obstine à refuser cette méthode, sans présenter aucun justificatif valable. En voilà un exemple de plus de manipulation indirecte des élections. Et là encore, la seule solution devant un tel entêtement est de confier tout le processus électoral à une entité indépendante.

Beaucoup de pays démocratiques ont adopté un tel système. Mais comment s’y prennent-ils? Voici un récapitulé des pratiques en Tunisie, Espagne et Sénégal, pour ne citer que ceux qui sont les plus proches.

Pays Prérogatives Membres
Drapeau de Tunisie Tunisie : Instance Supérieure Indépendente des Elections
  • Proposer la répartition des circonscriptions électorales
  • Préparer le calendrier électoral
  • Arrêter les listes des électeurs
  • Garantir le droit de vote à tous les citoyens et citoyennes
  • Garantir le droit d’éligibilité
  • Recevoir les demandes de candidatures aux élections,
  • Assurer le suivi des campagnes électorales et veille à assurer l’égalité entre tous les candidats et candidates
  • Organiser des campagnes pour vulgariser le processus électoral et inciter à la participation aux élections
  • Contrôler le processus électoral le jour du déroulement des élections et suivre les opérations de vote et de dépouillement
  • Recevoir et statuer sur les recours conformément aux dispositions du décret-loi relatif aux élections de l’assemblée nationale constituante
  • Accréditer les observateurs et les contrôleurs tunisiens aux bureaux de vote
  • Accréditer les observateurs internationaux
  • Annoncer et déclarer les premiers résultats des élections et publier les résultats définitifs
  • Un magistrat judiciaire
  • Un magistrat administratif
  • Un avocat
  • Un notaire ou un huissier de justice
  • Un enseignant universitaire
  • Un ingénieur spécialisé en logiciels et en sécurité informatique
  • Un expert en communication
  • Un expert en finances publiques
  • Un représentant des Tunisiens à l’étranger
Drapeau d'Espagne Espagne : Junta Electoral Central & les
  • Diriger et superviser la mise à jour des listes électorales
  • Supervision des Juntas Electorales Regionales qui ont elle même des prérogatives de contrôle et supervision des élections
  • Contrôle des dépenses électorales des partis politiques

 

  • 8 magistrats de la Cour Suprême
  • 5 Professeurs Universitaires en Sciences Politiques ou Sociologie (désignés par le Chambre des Députés)
Drapeau du Sénégal Sénégal : Commission Electorale Nationale Autonome
  • Superviser et contrôler tout le processus d’établissement et de gestion du fichier électoral
  • Superviser et contrôler l’établissement et la révision des listes électorales
  • Contrôler et superviser toute mise à jour de la carte électorale (découpage)
  • Superviser et contrôler le dépôt des dossiers de candidature aux élections
  • Participer aux travaux des commissions de recensement des votes
  • Superviser le ramassage et la transmission des procès-verbaux des bureaux de votes
12 membres nommés par décret et choisis parmi les personnalités indépendantes exclusivement de nationalité sénégalaise connues pour leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle, leur neutralité et leur impartialité, après consultation d’institutions, d’associations et d’organismes tels que ceux qui regroupent Avocats, Universitaires, Défenseurs des Droits de l’Homme, Professionnels de la communication ou de toute autre structure

Si nos valeureux députés veulent faire avancer la démocratie au Maroc, ils ont intérêt à pousser pour l’adoption d’une telle instance, au lieu de chercher des compromis ne servant que leurs intérêts. A commencer par les députés PJD qui nous ont promis monts et merveilles pour lutter contre “Lfassad”.

Non, le 20 février n’est pas mort

© Mehdy Mariouch
© Mehdy Mariouch

Ceux qui réduisent le mouvement du 20 février aux manifestations se trompent. Le 20 février est beaucoup plus que cela.

Il y a 3 ans, des dizaines de milliers de marocains battaient le pavé dans des dizaines de villes marocaines pour demander la dignité, un vrai Etat démocratique et la fin de la corruption qui ronge le pays. En contre partie, ils ont très vite obtenu une nouvelle constitution, la chute du gouvernement, et de nouvelles élections. Certes, toutes ces manœuvres avaient pour but d’étouffer les manifestations et d’embellir l’image du Maroc à l’Etranger, mais il y a néanmoins eu un certain nombre d’acquis que le mouvement a obtenu en quelques mois, alors que certaines partis politiques les réclamaient depuis des années.

Mais si les manifestations se sont arrêtées, et que le Makhzen est revenu en force récupérer ce qu’il a cédé durant quelques mois, l’esprit du 20 février demeure très présent.

Cette courte période a appris aux marocains qu’ils pouvaient descendre dans la rue pour leurs propres intérêt, alors que jusqu’en 2011, on ne descendait (ou on ne nous laissait descendre) que pour les autres : l’Irak, la Palestine… La meilleure preuve reste celle de la manifestation qui a suivi la grâce royale de Daniel Galvan. Les marocains n’ont pas eu peur de descendre, malgré la violence policière, protester contre une décision royale. Et ils ont fini par obtenir gain de cause après l’annulation de la grâce.

Et puis cette liberté de ton dont jouissent les marocains depuis 2011, est incontestablement une avancée. Sur les réseaux sociaux notamment, plus personne n’hésite à critiquer le Makhzen et ses différents corps. La presse (enfin, une partie…) surveille de près ce qui se passe dans l’Etat, et des petits scandales suffisent à faire trembler des ministres. L’affaire de la facture de chocolat du ministre El Guerrouj en est le meilleur exemple. Qui aurait pu imaginer avant 2011, qu’une facture de 33 000 DH pouvait menacer un ministre?

Si certains des militants du 20 février croupissent encore en prison (contrairement à ce qu’affirme le Chef de Gouvernement, pour qui il n’y a pas de prisonniers politiques au Maroc), beaucoup d’autres se sont disséminés un peu partout : journalistes, militants de Droits de l’Homme dans diverses associations, musiciens chanteurs (L7a9ed, L’Bassline…). D’autres sont en train de constituer de nouveaux partis politiques qui pourront constituer de vraies alternatives aux partis-boutiques actuels.

Les relais à la protestation de rue sont bien là. Et ils constituent un vrai contre-pouvoir pouvant contrer les abus du Makhzen.

Certes beaucoup de travail reste encore à faire. Mais les bases d’un contre-pouvoir durable sont bien là.

Non, le 20 février n’est pas mort. Il ne l’est que pour ceux qui souhaitent qu’il le soit.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=93wA2sNZQrY[/youtube]

Compensation : l’Etat ne subventionne plus les carburants

Il fallait s’y attendre : l’agonisant gouvernement Benkirane a finalement décidé de revenir à l’indexation des prix à la pompe des carburants, mesure en vigueur  1995 et 1999. Et encore une fois, le gouvernement Benkirane a choisi la solution de la facilité pour réformer la caisse de compensation.

Après les augmentations des prix à la pompe de juin 2012, et au lieu de mettre en place des mesures viables à long terme et bénéfiques pour les plus démunis, le (presque) gouvernement ne trouve rien de mieux que d’augmenter à nouveau le prix à la pompe.

Où sont les promesses de mise en place d’aides directes, promises par le ministre Boulif en juin 2013? Où sont les mesures permettant aux professionnel du transport de récupérer la subvention directement via des mesures fiscales, en utilisant le mécanisme du gasoil professionnel? Où est le débat global promis par M. Boulif sur la réforme de la compensation, véritable chantier prioritaire pour le Maroc, nécessaire pour sauver les finances publiques. Rien de cela n’a été fait, et il semble que rien ne presse pour un gouvernement préoccupé par sa survie plus qu’autre chose…

Mais revenons à la subvention du diesel et de l’essence. Un communiqué du gouvernement annonce aujourd’hui que l’État continue tout de même à subventionner à hauteur de 0,8 dhs/litre le super carburant, et à 2,6 dhs/litre pour le gasoil. Qu’en est-il réellement?

La fiscalité sur les carburants est composée de deux taxes : la Taxe Intérieure de Consommation (TIC), qui est fixée à 242,2 DH/hectolitre de diesel et à 376,4 DH/hectolitre de super carburant, ainsi que la TVA dont le taux est de 10% sur le prix de vente (contre 7% avant 2010).

Un simple calcul suffit à démontrer, qu’au contraire, c’est bien le consommateur final qui contribue au budget de l’État à hauteur de 0,7 DH/litre de diesel acheté et de 4,24 DH/litre d’essence.

 

Décomposition_prix_carburant_092013

NB : Le prix de vente indiqué est celui de la sortie de la rafinnerie de la Samir. Les prix de transport sont en sus, en fonction de l’éloignement de Mohammédia.

 

Il est temps d’en finir avec les discours “pompeux” M. le ministre 🙂

 

Quelques liens :

 

Quel bilan pour le gouvernement Benkirane I?

Benkirane

Les dés semblent désormais jetés : le gouvernement Benkirane sous sa forme actuelle n’a plus que quelques semaines ou mois à vivre. Le stratagème du pion Chabat et de ceux qui le téléguident a toutes les chances de réussir. On se dirigera donc probablement vers une nouvelle coalition (mais laquelle?), ou vers des élections anticipées. La 2ème option semble avoir les faveurs de certains caciques du PJD, car l’issue ne fait aucun doute : le PJD les gagnera encore une fois haut la main. Mais ils semblent toutefois oublier, qu’au vu du système électoral actuel, le PJD n’a absolument aucune chance de remporter la majorité absolue au parlement, et sera donc obligé de se trouver de nouveaux alliés. Au risque de retomber dans la même situation dans quelques mois et de n’avoir que 2 choix : se soumettre au Makhzen, ou avoir suffisamment de courage pour claquer la porte, et mettre le système devant ses responsabilités.

Un an et demi donc après la formation du gouvernement Benkirane I, il est tout à fait légitime de dresser un premier bilan de ses actions dans différents domaines, surtout celles qui ont marqué (ou pas), la vie des marocains.

L’impression générale que laissent ces 18 mois du PJD au “pouvoir” (qui est bien entendu ailleurs), est cette “USFPisation” beaucoup plus rapide que prévu. Le chef de gouvernement n’a pas cherché la confrontation avec le Makhzen (tout comme l’USFP du gouvernement d’alternance de 1998), et s’est tout de suite montré très docile vis-à-vis des véritables détenteurs du pouvoir au Maroc. Preuve s’il en faut, le fameux communiqué du Chef de Gouvernement qui s’excuse platement auprès des conseillers royaux à la suite d’un article de journal qui cite Benkirane : « il n’y a aucun contact entre moi et les conseillers du roi ».

Mais est-il utile de rappeler que le gouvernement Benkirane s’était engagé sur des promesses et des réformes nécessaires pour redresser le pays : croissance économique, lutte contre la corruption, réformes de la caisse de compensation et des régimes de retraites… Qu’en est-il dans les faits?


“Le gouvernement Schindler”

A force de publier des listes, on n’en voit plus l’utilité. S’étant engagé sur beaucoup plus de transparence, le gouvernement Benkirane a excellé dans la publication de listes à n’en plus en finir. Ca aurait été utile si des réformes étaient engagées, sauf qu’il n’en a rien été. Des coups de com, rien de plus. En 18 mois, le gouvernement Benkirane a donc publié les listes de :

  • Détenteurs des agréments de transport en autocar. Aucune réforme de cette activité symbolisant par excellence l’économie de rente n’a été faite.
  • Détenteurs des agréments de carrières. Dont la plupart sont cachés derrière des sociétés. Là aussi, aucune réforme n’a été faite de cette activité rentière.
  • Associations bénéficiant d’aides provenant de l’étranger
  • Personnes occupant illégalement des logements du ministère de l’éducation nationale
  • Étudiants pensionnaires des cités universitaires
  • Fonctionnaires détachés auprès des syndicaux

Des listes à ne plus en finir. Une sorte de concurrence entre ministres démontrant leur volonté de transparence sans que cela ne se traduise pour guérir les maux structurels du pays. Des listes inutiles.


L’indomptable audiovisuel

Les joutes avec les dirigeants des chaines de télévision publiques (puisqu’il n’y a aucune TV privée au plus beau pays du monde) n’en finissent plus. La mémorable bataille pour l’application des cahiers de charge du ministre Khalfi, s’est soldée par une ridiculisation du gouvernement, incapable d’appliquer sa politique à un service public. Benkirane a de plus été incapable de changer une simple directrice dans une chaine nationale. Autant dire que la TV est, et restera une chasse gardée du Makhzen. Victoire majeure cependant de Khalfi : il a réussi à imposer l’adhan sur 2M. Ouf, l’honneur est sauf.


Libertés politiques et lutte contre la corruption

Le bilan est particulièrement catastrophique. L’espoir qu’a suscité le gouvernement Benkirane s’est vite estompé, surtout que le ministre de la justice et des libertés, était connu pour être un militant farouche pour la défense des droits de l’Homme. Il n’en a rien été. Des dizaines de militants du mouvement du 20 février ont subi la vengeance du Makhzen, et ont été condamnés pour la plupart à des délits de droit commun. La réaction du gouvernement? M. Benkirane a affirmé en direct sur TV5, qu’il n’existait aucun prisonnier politique au Maroc. Un magnifique doigt d’honneur à tous ceux qui ont cru que le PJD pouvait défendre les libertés politiques au Maroc. Quand on ne s’appelle pas Jamaa Mouatassim du PJD (libéré 2 jours après la première marche du 20 février 2011), on n’a pas le droit d’être défendu par ce parti, ni d’être traité comme prisonnier politique.

Autre point : la lutte contre la corruption. Slogan majeur de la campagne électorale du PJD, n’a pas fait long feu. Symbole de cette promesse non tenue, la poursuite en justice des braves fonctionnaires qui ont “fuité” les documents prouvant l’échange de primes entre l’ex-Ministre des Finances et le Trésorier Général du Royaume. Ils ont tous les deux été poursuivis pour divulgation de secret professionnel. Une manière de dire à tous les témoins de malversations de leurs administrations qu’ils risquent de subir le même sort devant la justice. Et qu’en est-il de Bensouda et Mezouar? Le procureur général de la Cour d’Appel à Rabat (dont le chef direct est Ramid, le ministre de la Justice) a classé sans suite l’affaire en prétextant un arrêt datant du protectorat… La lutte contre la corruption, ce n’est pas pour tout de suite.


Situation économique au bord du gouffre

20 ans après la sortie de la tutelle du FMI, le Maroc a redemandé l’aide de l’institution monétaire internationale en souscrivant à une ligne préventive de liquidité. Le FMI a désormais un droit de regard sur les finances publiques, et dicte les réformes au gouvernement. Une situation, pas loin de celle du “Plan d’Ajustement Structurel” qui a commencé en 1983 et duré une douzaine d’années. Et on y risque d’y revenir très prochainement si la réforme de la caisse de compensation et celle des retraites, ne sont pas réalisées à temps. Certes, le gouvernement précédent a laissé un lourd passif, en dégradant sensiblement les finances publiques pendant les quelques mois précédent son départ, mais celui de Benkirane a manqué terriblement de courage en retardant les réformes de compensation et de retraites.


Des points positifs?

Tout n’est pas noir : Benkirane a été ferme sur la généralisation des concours pour accéder à la fonction publique, et n’a pas (encore?) cédé aux diplomés chomeurs qui réclament d’être intégrés directement dans la fonction publique. Autre point pratique : on connaît désormais à l’avance les dates de passage à l’heure d’été et d’hiver chaque années. Le gouvernement de Abbas El Fassi nous l’annonçait souvent la veille. On ne remerciera jamais assez Benkirane pour ça…


Des alternatives?

L’échec cuisant du gouvernement de Benkirane sur ces 18 mois, démontre une chose : l’histoire est un éternel recommencement. Benkirane subit aujourd’hui ce qu’a subi El Youssoufi il y a 15 ans. Il a voulu pactiser avec le Makhzen, sans avoir de véritable pouvoir. Le leurre de la constitution de 2011 a marché. Il se contente aujourd’hui d’un gouvernement de gestion des affaires courantes, sans véritable pouvoir, et incapable de mener la moindre réforme structurante. Et il semble s’en contenter.

Quelle alternative? Chasser le gouvernement Benkirane et en ramener un autre PI, USFP, MP, ou même technocrate, ne résoudrait rien. Ca nous ferait perdre encore 10, 20 ou 50 ans de développement. La seule réforme pouvant sortir le Maroc de son marasme et de le ramener sur la voie de la démocratie : instaurer une monarchie parlementaire. Une vraie.

L’Etat aurait-il dû privatiser Maroc Telecom?

Ahizoune & Fourtou

Alors que Vivendi s’apprête à vendre ses parts de Maroc Telecom, achetées à l’État marocain une douzaine d’années auparavant, certaines voix s’élèvent ici et là pour demander à re-nationaliser ce mastodonte et s’interrogent sur le bilan de sa privatisation.

Il y a quelques jours, le patron de la centrale syndicale CDT a même explicitement demandé à l’État de racheter les parts de Vivendi, afin de renforcer la souveraineté nationale dans ce domaine stratégique. Si une telle éventualité est totalement exclue au vu de l’état catastrophique des finances publiques, il en est de même pour un acteur privé marocain. Aucune entreprise ou institution marocaine n’a aujourd’hui les moyens de mettre sur la table les 4 à 5 milliards d’euros demandés par Vivendi.

Si la nationalisation est donc totalement exclue, on peut légitimement se poser des questions sur le bilan de sa privatisation en 2001.

Est-ce que Maroc Telecom aurait pu atteindre son stade de développement actuel s’il était resté dans le giron des entreprises publiques?

La question est réellement délicate. Il est indéniable aujourd’hui que l’arrivée de Vivendi a contribué à moderniser la lourde machine qu’était cette entreprise issue de la scission de l’Office National des Postes et Télécommunications. Certes, à coup de licenciements et de programmes de départs volontaires, mais aussi grâce à une réorganisation et un pilotage plus orienté performance. Mais fallait-il attendre que Vivendi ramène ses cadres pour le faire? Le contre exemple de la transformation de l’OCP en quelques années prouve qu’une profonde transformation d’une entreprise étatique n’est pas impossible. En quelques années, la profonde restructuration menée par M. Terrab a permis de transformer ce vieil office qu’était l’OCP en une entreprise d’envergure internationale capable de concurrencer les plus grands.

L’argument qui revenait souvent au moment de la privatisation de Maroc Telecom est celui du transfert technologique. On a longtemps martelé que l’opérateur avait besoin d’un acteur international pour lui ouvrir les portes de l’expertise technique internationale. Qu’en est-il dans les faits? Il suffit de comparer les offres techniques et les moyens déployés chez les autres filiales de Vivendi (SFR en France et GVT au Brésil), pour se rendre compte qu’aucun transfert technologique n’a été opéré. Les équipementiers de télécommunications classiques (Nokia Siemens Network, Ericsson, Huawei…) passent des marchés directement avec l’opérateur sans aucune intervention de Vivendi. Seules quelques contrats d’assistance technique avec SFR (facturés au prix fort) sont en place et restent très limités par rapport aux contrats passés avec les équipementiers. Autre preuve : les 2 pôles techniques de l’opérateur sont dirigés par des marocains, alors que les pôles financiers et juridiques sont dirigés par des français. C’est dire l’importance qu’accorde Vivendi à ses flux financiers.

Qu’en est-il du prix encaissé par l’État en 2001 et 2005? Le meilleur moyen de l’évaluer après 12 ans de l’opération, est de calculer le taux de rentabilité interne (TRI) de l’actionnaire Vivendi. En retraçant les flux déboursés par Vivendi pour l’acquisition des 35% de Maroc Telecom en 2001, puis des 16% supplémentaires acquis en 2005, et en y ajoutant les dividendes obtenus durant ces 12 ans, en plus du prix de vente escompté par Vivendi (arrondi à 50 milliards de DH), on obtient un TRI actionnaire de 11%. Il n’inclut toutefois pas les contrats d’assistance technique (considérés parfois comme des dividendes cachés), ni l’effet d’achat groupé avec les autres filiales de Vivendi.Un tel niveau de TRI peut paraitre à première vue élevé, mais reste très raisonnable par rapport aux TRI généralement obtenus par des capital risqueurs. On peut donc légitimement dire que l’ex-ministre des finances Oualalou avait bien négocié le montant des deux chèques de Vivendi.

Vivendi Maroc Telecom(Cliquez pour agrandir)

Douze ans après sa privatisation, Maroc Telecom reste une machine à cash importante pour l’État. En 2011, on estimait à environ 10 milliards de DH les recettes de l’Etat à partir de Maroc Telecom (dividendes, IS, TVA, contribution obligatoire au fonds pour la recherche scientifique…). Le chiffre est certes appelé à baisser avec la baisse des résultats de l’opérateur, mais il continuera à constituer une part non négligeable dans les recettes annuelles de l’État.

Pour résumer, l’opération de privatisation de Maroc Telecom était à l’époque une bonne opération financière pour l’État, et continue de l’être grâce aux dividendes et impôts générés par l’opérateur. Si le développement en Afrique subsaharienne a été un choix judicieux pour s’assurer des relais de croissance, l’opérateur n’a néanmoins pas pu bénéficier pleinement des transferts technologiques qui auraient dû accompagner l’opération. Une dimension malheureusement toujours négligée dans de pareilles opérations, car on pense souvent à l’effet immédiat (cash), et on néglige l’effet à moyen et long terme des transferts technologiques et de savoir faire sur l’économie et la recherche dans le pays…

Sources :

Etat marocain : des méthodes kadhafistes pour surveiller Internet ?

Rappelez-vous, d’un épisode particulier de la chute du sanguinaire dictateur libyen : deux journalistes du Wall Street Journal (WSJ) découvrent stupéfaits l’existence d’un centre secret à Tripoli pour la surveillance d’activistes libyens sur Internet. Le centre disposait d’importants moyens informatiques dont un logiciel appelé Eagle et édité par la société française Amesys.

Que permet de faire ce logiciel ? Le manuel d’utilisation de Eagle est on ne peut plus clair :

« Le système récupèrera toutes les données, et fichiers attachés, associés aux protocoles suivants : Mail (SMTP, POP3, IMAP), Webmails (Yahoo! Mail Classic & Yahoo! Mail v2, Hotmail v1 & v2, Gmail), VoIP (SIP / RTP audio conversation, MGCP audio conversation, H.323 audio conversation), Chat (MSN Chat, Yahoo! Chat, AOL Chat, Paltalk -qui permet aux utilisateurs de Windows de chatter en mode texte, voix ou vidéo-, Http, Moteurs de recherche (Google, MSN Search, Yahoo), Transferts (FTP, Telnet) ».

Amesys Eagle Operator Manual Copy by rewriting

Il s’agit en gros d’un logiciel de « Deep Packet Inspection », capable de récupérer et inspecter des données circulant entre libyens, et même de dresser des cartographies de relations en fonction des personnes contactées et de la fréquence des échanges.

L’enquête du WSJ avait bien révélé que les services libyens avaient utilisé le logiciel pour épier des conversations entre activistes sur Yahoo Chat et via email.

Le gouvernement marocain est-il tenté d’utiliser des méthodes du défunt Kadhafi pour surveiller Internet ? Tout porte à le croire malheureusement.

Le «Canard enchainé» français avait publié en Février 2012 une facture de 2 millions de dollars destinée au gouvernement marocain de la part de la société Serviware, filiale d’Amesys, elle-même filiale du groupe Bull.

La facture porte mention du « Projet Popcorn », mais ne donne pas plus de détails sur la consistance de la commande. Mais selon le « Canard Enchaîné », le même logiciel aurait été fourni au Qatar et à… la Syrie ! C’est dire la nature démocratique des régimes clients d’Amesys.

Si aucune réaction officielle des autorités marocaines n’a été enregistrée, il ne serait pas du tout étonnant que le régime marocain se mette à surveiller ceux qui l’enquiquinaient il y a 2 ans avec les manifestations du mouvement du 20 février, et le vent de liberté d’expression qui souffle sur l’Internet marocain depuis.

Mais ne faudrait-il pas rappeler que l’article 24 de la Constitution marocaine stipule explicitement que

« Toute personne a droit à la protection de sa vie privée. (…) Les communications privées, sous quelque forme que ce soit, sont secrètes. »

Le régime se cache malheureusement très souvent derrière le prétexte de lutte contre le terrorisme et de lutte contre les fraudes pour justifier ces pratiques. Sauf que ce même article de la Constitution stipule que

« Seule la justice peut autoriser, dans les conditions et selon les formes prévues par la loi, l’accès à leur contenu, leur divulgation totale ou partielle ou leur invocation à la charge de quiconque ».

Quid de la pratique ? Ce n’est un secret pour personne qu’elle est souvent loin de toute règle juridique…

Quelques liens :

Qu’attend la classe moyenne marocaine de l’Etat?

Famille marocaine (Par Olivier Blaise)
Famille marocaine (Par Olivier Blaise)

Alors que s’élabore en catimini la réforme de la Caisse de Compensation (la plus importante depuis plusieurs années, faut-il le rappeler), sans aucun débat public ou approche participative, il semble certain aujourd’hui que le gouvernement se dirige vers une aide directe aux plus nécessiteux. Si les modalités exactes ne sont pas encore définies, des questions commencent à surgir ici et là sur le sort de la classe moyenne, qui ne profiterait plus des subventions de la Caisse de Compensation, et se retrouverait exposée à la “réalité des prix”, alors qu’elle a de plus en plus mal à joindre les 2 bouts, et vit de plus en plus sur le fil du rasoir.

Comment d’abord définir cette classe moyenne? Ce débat interminable au Maroc , a abouti à plusieurs définitions, dont la plus contestée est celle du Haut Commissariat au Plan. Il a défini en 2009 la classe moyenne comme tout foyer ayant un revenu mensuel situé entre 2800 et 6763 DH. Une définition purement statistique, qui prend en compte la distribution des revenus au Maroc, et situe la classe moyenne entre 0,75x et 2,5x la médiane des revenus. Et comme le dit M. Lahlimi, Haut Commissaire au Plan, “Dans un pays pauvre, la classe moyenne est normalement pauvre. Et c’est le cas du Maroc”. Si cette définition de la classe moyenne peut être relativement acceptée dans le milieu rural, ou dans de petites villes, il est inconcevable aujourd’hui de classer un foyer de Casablanca ou Rabat ayant un revenu mensuel de 2800 comme un foyer de classe moyenne.

D’autres efforts pour définir cette classe moyenne ont été fournis par divers chercheurs et universitaires. Le plus abouti, à mon sens, semble être celui de la revue Economia (éditée par le CESEM) en  2009. L’étude part de définitions statistiques et non-statistiques pour cerner cette classe moyenne qui semble échapper à une définition universelle, et se base sur le principe que cette classe “devrait se suffire à elle même pour vivre (et non pour survivre)”.

A l’issue de cette étude, 4 catégories de classes moyennes ont été établis, et les grands postes de dépense d’un foyer décortiqués. Pour chacun de ces postes, une fourchette hausse et basse ont été définis. Si la somme de ces postes ne correspond pas au revenus du foyer, c’est parce qu’on estime que ces foyers font des arbitrages entre ces catégories, et choisissent de consommer moins ou plus selon leur revenu et leur souhait d’avoir ou non de l’épargne. (Les chiffres de cette étude datant de 2009, il conviendrait de les ajuster par rapport à l’inflation depuis cette date là).

Classe Moyenne D

Classe Moyenne C

Classe Moyenne B

Classe Moyenne A

Partant de ces chiffres, peut-on cerner les attentes de cette classe moyenne vis-à-vis de l’Etat? Peut-on dire que cette classe sera affectée par la libéralisation des prix des produits actuellement subventionnés par la Caisse de Compensation (farine, sucre, carburant de voiture et gaz butane)?

Si le montant réservé à l’alimentation reste à peu près le même, quelque soit la variation des revenus du foyer, on remarque que le gros des dépenses est ailleurs : logement, transport, habillement, eau, électricité, télécoms, santé et éducation. L’impact de la réforme de la Caisse de Compensation devrait donc à priori être réduit si la farine et le sucre devaient être augmentés. Cela est par contre un peu plus sensible pour le gaz butane (rappelons que le vrai prix de la grande bonbonne est de 120 DH au lieu des 40 DH actuels), et pour le carburant de voiture sur lequel compte une bonne partie de cette classe moyenne pour se déplacer.

L’Etat devra-t-il inclure la classe moyenne dans son programme de distribution directe des subventions? Pas sûr que ce soit son rôle… La classe moyenne a surtout besoin de services publics à la hauteur de ces attentes, qui allègeraient le fardeau de ses dépenses, alors même qu’elle est un gros contributeur fiscal à travers l’Impôt sur le Revenu et la TVA payée sur à peu près tous ses achats.

Il suffit de jeter un coup d’œil aux postes de l’éducation et de la santé. Il est devenu rare de nos jours de voir un couple de fonctionnaires (de classe moyenne donc), envoyer leurs enfants dans une école publique. Quelques soient le niveau de leurs revenus, ils en sacrifient une bonne partie pour assurer à leurs enfants une éducation adéquate, au lieu de sacrifier leur avenir dans une école publique arrivée à un état catastrophique. Et ne parlons même pas d’hôpitaux publics. Mis à part quelques rares spécialités, il est aujourd’hui automatique pour un foyer de classe moyenne de se diriger vers des cliniques ou des médecins privés pour se soigner, même s’ils ne font pas partie des 18% de travailleurs chanceux qui disposent d’une couverture maladie…

Et que dire du transport? Faute de transports publics fiables, cette classe moyenne est quasi-obligée de disposer d’une voiture (voire de deux…) pour se rendre à son travail et conduire ses enfants à l’école (privée). Cela aurait-il le cas si nos villes disposaient de réseaux de transport public fiables, confortables et ponctuels? Pas sûr. Il suffit de voir les récents succès des tramways de Rabat et de Casablanca pour se rendre compte des attentes immenses de la population vis-à-vis des transports publics.

Et que dire du logement? Si l’État s’est longtemps focalisé sur la promotion du logement social, l’intérêt pour le logement de la classe moyenne est tout nouveau avec les récents avantages fiscaux accordés aux promoteurs immobiliers. Certains d’entre eux ont déjà annoncé qu’ils n’étaient pas intéressés par des carottes fiscales jugées trop faibles, et préfèrent rester focalisés sur le logement social, aux avantages fiscaux nettement plus intéressants pour ces requins promoteurs. La classe moyenne restera donc, jusqu’à nouvel ordre, prisonnière de spéculateurs immobiliers, sans qu’elle ne trouve d’offre adéquate, essentiellement en termes de budget.

Si l’État ne devrait pas venir en aide à cette classe moyenne en lui octroyant des aides pécuniaires directes, il devrait au moins se rendre utile en lui assurant des services publics dignes de ce nom, essentiellement dans les domaines de l’éducation, de la santé et des transports publics, tout en mettant en place des conditions adéquates pour lui permettre d’accéder à un logement répondant à ses aspirations.

Si l’idée de tout demander à l’État est à exclure, faut-il pour autant renoncer à demander des services publics de qualité, ne serait-ce qu’en contre-partie des innombrables impôts payés à l’État par cette classe moyenne?

Liens :

Tunnel de Tichka : un improbable projet pour le Maroc “inutile”

 

Si vous n’avez jamais pris la route Ouarzazate-Marrakech via Tizi-N-Tichka, vous pouvez difficilement imaginer à quelle point le tronçon montagneux est dangereux. Si les paysages qu’elle offre sont à couper le souffle, elle reste une route étroite, sinueuse sur 120 kilomètres, avec des virages à angles morts et des ravins dont on ne voit même pas le fond. Ajoutez à cela une signalisation faible et un entretien approximatif, et vous obtiendrez probablement la route la plus dangereuse au Maroc. Et si jamais vous envisagez de traverser cette route l’hiver, prévoyez des vivres et de bonnes couvertures. Il est très fréquent que la route soit coupée suite aux chutes de neige.

Si on ne connaît pas, pour le moment, la cause exacte du dramatique accident d’autocar de Tichka, on peut, vu la nature de la route, se demander si celle-ci n’est pas la cause directe de l’accident, ou au moins une cause aggravante, vu que le car a chuté dans un ravin de 150 mètres.

On pourra toujours dire que le conducteur roulait trop vite, avait sommeil, ou a manqué d’attention au moment de l’accident, ou que l’autocar était surchargé et que son état mécanique était défectueux, mais la question de la responsabilité de la qualité de la route dans le nombre effroyable de victimes est légitime.

La construction de la route du Tichka a commencé en 1924, sur initiative du Général Daugan, dans le cadre de la campagne de “pacification” du Maroc, après la signature du traité de protectorat français en 1912.

 

Elle fut essentiellement utilisée pour transporter le matériel et les troupes militaires.

Les découvertes minières dans la région, ont incité le protectorat à trouver des solutions pour faciliter le transport du manganèse, et de baisser ainsi son coûts de revient. Deux solutions ont été étudiées : celle d’un téléphérique utilisé pour acheminer le précieux minerai d’un flanc à l’autre, ou celle d’un tunnel sous l’Atlas. La première solution fut adoptée et celle du tunnel temporairement abandonnée (même si selon certaines sources, le creusement avait déjà commencé).

 

En 1974, des études ont été réalisées pour la faisabilité d’un tunnel de 11 Km sous l’Atlas, réduisant la longueur du trajet de 25 Km et économisant 40 minutes. D’autres études ont suivi en 1996 et 2002 et 2004. mais ont connu toutes le même sort : moisir dans un tiroir.

Pour quelles raisons le projet a-t-il été remis aux calendes grecques? Si les italiens, suisses, français ou islandais ont parfaitement réussi des challenges aussi difficiles que la construction du tunnel du Mont Blanc, du Fréjus , du Simplon ou du Hvalfjörður, en quoi le tunnel de Tichka serait-il plus difficile à construire? La seule raison qui parait aujourd’hui freiner le projet, est son coût de financement. Il est estimé aujourd’hui entre 7 et 10 milliards de dirhams, soit entre le tiers et la moitié du coût projeté du TGV Tanger-Casablanca.

Nous vivons donc dans un pays qui s’efforce de trouver les moyens de financer un petit joujou pour le Maroc “utile”, mais bute sur le financement d’un ouvrage capable de changer l’avenir de millions de personnes vivant dans les régions “inutiles” de Deraa, Todgha et Dades. Cette dichotomie si chère au Maréchal Lyautey, continue donc de prévaloir chez les dirigeants du Maroc au 21ème siècle.

Les attentes des habitants de cette région sont énormes, et la construction d’un tel ouvrage constituerait une véritable révolution pour ses habitants, habitués à vivre à la marge du Maroc de “l’autre coté” de la montagne, celui où on jouit de leurs richesses sans véritable retour.

Fiasco de l’éducation au Maroc : un historien français avait tout prévu il y a 50 ans

Et si l’état actuel de l’éducation au Maroc était tout à fait prévisible depuis 50 ans? Et si l’état catastrophique était prémédité par une élite bien établie qui souhaitait continuer à avoir la mainmise sur le Maroc? C’est que laisse entendre cette lettre envoyée par Charles-André Julien, éminent historien français spécialiste du Maghreb. Au lendemain de l’indépendance, il fut invité par Mohammed V à fonder l’Université marocaine, et fut à cet effet nommé premier doyen de la Faculté des Lettres à Rabat.

Cette lettre a été adressée à M. Bennani, Directeur du Protocole de Mohammed V.

Charles André Julien

Paris 1 Novembre 1960

Cher ami,

Depuis hier 31 Octobre, j’ai cessé d’être officiellement doyen de la Faculté des Lettres de Rabat. Je puis désormais m’exprimer en toute liberté.

J’ai été appelé par Sa Majesté à contribuer à resserrer les liens culturels entre l’Occident et l’Orient. Je l’ai fait de mon mieux. J’ai créé de toutes pièces une Faculté qui a acquis un solide renom, et qui eut pu devenir le centre culturel le plus important de l’Afrique musulmane et un centre d’attraction pour les Africains francophones. J’ai toujours été partisan de l’arabisation, mais de l’arabisation par le haut. Je crains que celle que l’on pratique dans la conjoncture présente ne fasse du Maroc en peu d’années un pays intellectuellement sous développé. Si les responsables ne s’en rendaient pas compte, on n’assisterait pas à ce fait paradoxal que pas un fonctionnaire, sans parler des hauts dignitaires et même des Oulémas, n’envoie ses enfants dans des écoles marocaines. On prône la culture arabe, mais on se bat aux portes de la Mission pour obtenir des places dans des établissements français. Le résultat apparaîtra d’ici peu d’années, il y aura au Maroc deux classes sociales : celle des privilégiés qui auront bénéficié d’une culture occidentale donnée avec éclat et grâce ä laquelle ils occuperont les postes de commande et celle de la masse cantonnée dans les études d’arabe médiocrement organisées dans les conditions actuelles et qui les cantonneront dans les cadres subalternes. Avec de la patience et de la méthode on eut pu aboutir à un tout autre résultat, qui permettrait de donner à tous les enfants des chances égales d’avenir.

Le Ministère de l’Education Nationale ne parait pas répondre aux services qu’on attend de lui. On ne saurait dire que l’ordre et la compétence y triomphent, cependant que les éléments marocains les plus valables et soucieux de l’avenir de leur pays sont attaqués dans l’Istiqlal. Les dossiers importants sont parfois partagés entre trois services sans que le cabinet laisse jouer au Secrétariat général son rôle normal de coordination. Le Ministre ne semble pas désirer les contacts. A part la visite de courtoisie que j’ai pu faire après ma nomination, je n’ai jamais eu l’occasion de m’entretenir avec lui. Le Directeur de l’Enseignement supérieur, dont dépend la Faculté, ne répond généralement pas aux lettres. Les mesures les plus importantes sont improvisées, et il m’est arrivé de les apprendre par leur publication au journal officiel sans que j’aie té consulté. C’est ainsi qu’à la mi-octobre 1960, on a décidé en quelques heures de créer une propédeutique et des certificats de licence marocaine de langue française, sans que les programmes aient été au préalable étudiés et que les incidences de ces initiatives aient été mesurées. J’ai appris ces décisions en prenant connaissance de textes polycopiés déposés sur le bureau de ma secrétaire. Il est impossible de faire un travail efficace avec une technique si contraire ä la bonne administration. S’il est un domaine en effet où l’improvisation a des conséquences redoutables pour l’avenir, c’est Enseignement. On ne semble pas s’en douter.

Sa Majesté m’a appelé à Rabat pour promouvoir la culture marocaine, et non pour être complice de sa ruine. Je me suis donc retiré, laissant à d’autres les responsabilités d’une politique universitaire qui me parait imprudente et vouée à l’échec. Je répète que le Maroc est totalement libre de choisir la politique culturelle qui lui semble la meilleure, mais c’est à des Marocains qu’il doit en confier l’application. C’est pour cela que j’ai sollicité du Ministre mon remplacement par un doyen marocain. Un autre point me parait grave quoique d’un autre ordre, c’est celui de la situation faite aux fonctionnaires français qui sont en place, telle que j’ai pu l’apprécier par ma propre expérience. Que le Maroc les remplace par des nationaux, cela est tout à fait normal, mais qu’il ne leur témoigne pas des égards auxquels ils ont droit, cela me parait difficile à admettre. Depuis trois ans, j’ai consacré la majeure partie de mon temps au Maroc sans autre rémunération que le remboursement partiel de mes frais. Je l’ai fait volontiers, mais que l’on m’ait placé à plusieurs reprises devant le fait accompli alors que j’avais la responsabilité de la marche de la Faculté, cela ne saurait être admis par un homme conscient de sa dignité. Faire toutes les besognes officielles, et être tenu à l’écart des décisions fondamentales, c’est pour un doyen une position morale qu’il lui est impossible de supporter. Quand par exemple, le Recteur organise un banquet en l’honneur de son collègue de l’Université de Paris, le Professeur Debré, et qu’il y invite mon adjoint M. Ben Bachir sans m’y convier moi même, bien qu’il sache ma présence à Rabat, il pratique une ségrégation regrettable qui m’oblige à me souvenir que le soir de la Celle Saint-Cloud, j’étais l’hôte de Sa Majesté au premier dîner en l’honneur du Maroc indépendant. Je puis mesurer par ce seul fait les changements qui se sont produits depuis cinq ans.

A la cérémonie émouvante qui a marqué mon départ, et à laquelle assistaient de nombreux marocains et français, j’ai été salué par un professeur, fonctionnaire du rectorat, et par le vice-doyen de la faculté. Le ministre n’était pas présent, et pas d’avantage le directeur de l’enseignement supérieur. Ce sont les Marocains qui ont éprouvé le plus de gène. Si j’ai reçu une lettre très aimable du recteur, le ministre n’a pas cru devoir me témoigner la reconnaissance du Maroc, soit en m’écrivant, soit en me recevant. Par contre, l’ambassadeur de France et le conseiller de la Mission culturelle dont je ne dépendais en aucune mesure et qui ont toujours strictement respecté l’autonomie de la Faculté, m’ont réservé à plusieurs reprises le meilleur accueil. Je me serais abstenu de signaler l’attitude à mon égard du Ministre de l’Education Nationale si elle n’avait entraîné des conséquences sur lesquelles je vous serais obligé de bien vouloir attirer l’attention de Sa Majesté. Depuis le 10 mai dernier (2), date à laquelle j’ai donné ma démission, j’ai écrit à plusieurs reprises au Ministre pour l’informer de la situation. II n’a pas jugé utile de m’accorder un entretien. Avant de retourner au Maroc, je l’ai informé que je serais à Rabat, pour un dernier séjour, à partir du 13 Octobre et que je me tiendrais à sa disposition. J’avais l’intention de le prier de solliciter pour moi une audience de sa Majesté. Fonctionnaire chérifien, je devais en tant que français donner l’exemple du respect de la voie hiérarchique qui s’impose à tous. M’adresser directement au Palais, sans passer par l’intermédiaire de mon ministre eut manqué aux règles les plus impératives de l’Administration. Mon Ministre ne me convoquait pas, j’ai été mis dans l’impossibilité à mon grand regret de présenter à Sa Majesté mes remerciements pour la confiance qu’elle m’a toujours témoignée.

Croyez mon ami à mes souvenirs les meilleurs.
Charles André Julien, professeur à la Sorbonne ».

Source : Centre d’Histoire de Sciences Po Paris

Un article détaillé sur Charles-André Julien est publié sur le numéro de Juin 2012 du magazine Zamane.